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Villa El Salvador est une ville de la banlieue de Lima ; une ville construite, dès 1971, à partir de rien, par des populations chassées de la capitale ainsi que des familles paysannes, descendues des montagnes, qui a fonctionné pendant plus de 20 ans de manière autogérée et très démocratique, sur la base notamment des assemblées de voisins et de quartiers, avec des résultats inespérés : petite propriété pour tous, système éducatif exceptionnel, services de base de qualité (eau, électricité…), agriculture urbaine vivrière avant-gardiste, petite production locale et développement de l’artisanat, sans parler d’une culture populaire très vivante (radio et télévision locales, cinéma ambulant…).

Grands remerciements aux deux journalistes de Construire l’Utopie, dont le magnifique article/reportage – auquel cet article emprunte largement – réalisé tout récemment à Villa el Salvador nous a fait connaître cette expérience.


Pour un petit préambule, on peut voir cette vidéo, bande-annonce du film « Villa El Salvador, les bâtisseurs du désert » de Jean-Michel Rodrigo et Marina Paugam (1) :

 

Naissance de Villa El Salvador : des terrains vagues désertiques à une ville autogérée de centaines de milliers d’habitants

 

« Villa El Salvador est née à la suite d’une des innombrables invasions de terrains organisée par les immigrants d’origine rurale et les habitants des quartiers pauvres surpeuplés, dans le but de conquérir un espace où se loger » (2). Tout commence en 1971 par l’occupation de terrains vagues, situés à une trentaine de kilomètres de la capitale, Lima. « La police intervient, provoquant la mort d’un des occupants, Edilberto Ramos Quispe, considéré par la suite comme premier martyr de Villa El Salvador » (3).

 
 
 

« Devant l’ampleur du mouvement, et afin de calmer le conflit à l’approche d’un événement international [ndrl : une réunion de la Banque mondiale] qui devait avoir lieu à la capitale péruvienne, le gouvernement décide d’octroyer aux envahisseurs, des terrains vagues dans une zone désertique située dans la banlieue sud de Lima près des plages (Cono Sur) avec la promesse qu’ils en deviendraient propriétaires. Cette mesure met fin aux violents affrontements mais les familles se retrouvent en plein désert, éloignés du centre-ville, sans toit, sans eau ni électricité. Progressivement, les familles s’organisent pour éviter la spéculation (vente de ces terrains à des tiers non concernés par le mouvement). De même, ils s’entraident pour construire des abris et se nourrir. Les décisions sont alors prises collectivement, en assemblée. Chaque habitant ayant droit à la parole. Cette forme de démocratie s’impose comme le seul moyen de faire face aux problèmes quotidiens…. et de bâtir collectivement une ville… » (4).

« [L]’organisation traditionnelle de la paysannerie andine, caractérisée par la solidarité et l’entraide, a su s’adapter à chaque transformation de la société péruvienne y compris aux processus d’exclusion sociale consécutifs à l’industrialisation et à la modernisation des villes. Dans le bidonville comme au village, les décisions sont prises en assemblée et chaque habitant a le droit à la parole. Cette forme de démocratie s’impose comme le seul moyen de faire face aux problèmes quotidiens et à la pauvreté en général » (5).

Du jour au lendemain de 200 à 2000, puis 30 000, puis 100 000 en quelques semaines… chacun construit sa masure, avec des planches de bois… chacun a son petit morceau de terrain. « Parmi ces milliers de premiers arrivants, on trouve des dirigeants paysans, des syndicalistes révolutionnaires, des chrétiens inspirés par la théologie de la libération… Des leaders de tous horizons qui ont su concorder dans leur volonté de construire une ville différente et dont l’expérience a permis de jeter les bases de l’auto-organisation de Villa El Salvador » (6).

La devise des habitants est : « Parce que nous n’avons rien, nous ferons tout ». Désireux que leurs enfants ne perdent pas une année d’école, la première chose à laquelle ils vont œuvrer est la mise en place de centres éducatifs. « L’Église joue dès le début un rôle très actif, à partir de l’organisation paroissienne, les communautés chrétiennes de base et la promotion de l’éducation. Les premières écoles primaires et secondaires réunissent des jeunes professeurs engagés dans la réforme de l’éducation » (7). Les jeunes sont formés aux métiers, mais aussi aux disciplines artistiques. Dès le 4ème mois de l’expérience, tous les enfants sont scolarisés. L’accent mis sur l’éducation, pierre angulaire de l’expérience, permettra à la ville d’obtenir un taux d’alphabétisation record, de plus de 90 % !

 

La participation de tous aux décisions, la clef du succès ?

 

Ce qui est mis en place par les premiers habitants est un système de participation directe basé sur l’organisation entre voisins et sur les liens de proximité et de solidarité mis en place. « A Villa El Salvador, tout est basé sur une organisation territoriale précise. Selon Sigifredo [ndrl : un habitant rencontré par les deux journalistes de Construire l'utopie], c’est entre autres grâce à cela que les gens se sont très vite appropriés l’idée d’auto-organisation. « La base de l’organisation est le pâté de maison, qui compte 24 parcelles, c’est-à-dire 24 familles. Celles-ci élisent un comité lors d’assemblées ouvertes à tous les voisins. Il est composé de cinq représentants aux responsabilités spécifiques : éducation, production et services, santé, etc. » » (8).

« Au dessus » de ces assemblées de pâtés de maison se trouvent les assemblées de groupe résidentiel, formé d’environ 16 pâtés de maison : « Au centre de chaque groupe, on trouve une place publique où se trouvent les services communs comme des infrastructures sportives, une maison commune… Les habitants participent aux assemblées de leur groupe résidentiel. Ils y élisent aussi des représentants, avec des fonctions identiques que celle du comité de pâté de maison. Et l’ensemble des représentants des groupes résidentiels forment l’assemblée plénière de la communauté. A cette organisation communale territoriale s’ajoutent aussi des groupes plus thématiques, sur base de secteurs d’activités ou de groupes d’intérêt. Il y a aussi beaucoup de travail communautaire.» «C’est un modèle qui a très bien marché pendant 20 ans !», conclut Sigifredo » (9).

« En 1974, les habitants décident de créer la CUAVES (Communauté Urbaine Autogestionnaire de Villa El Salvador), avec l’objectif de consolider les organisations populaires et de prendre en charge la gestion des problèmes de la nouvelle ville (Plan d’occupation du sol, construction des services indispensables à la population) et de faire des propositions quant à la gouvernance de la ville (10) ». La CUAVES est composée des délégués élus par les assemblées de base.

« Ainsi, la ville est organisée selon un plan très précis, qui peut faire penser aux phalanstères de Fourier. L’espace est organisé à partir de larges routes, construites par les habitants eux-mêmes, qui desservent des pâtés de maisons, formant à leur tour des quartiers. Ce sont eux qui constituent l’unité de base de la ville, aussi bien urbaine que politique. En effet, chaque quartier est organisé autour d’une place publique où l’on trouve les services communs: écoles, unité médicale, centre sportif, etc. » (11).

Villa El Salvador est un exemple unique de construction participative d’une cité. « Le modèle d’organisation de la Cuaves, basé sur les assemblées de base, les mandats révocables, les liens de proximité, la participation de tous (tant aux décisions qu’à l’effort collectif), a permis de répondre aux nécessités immédiates, comme la construction des infrastructures ou l’attribution des terrains. Mais il a aussi permis d’imaginer des plans à moyen et à long terme pour la construction de la ville. Roel affirme, avec beaucoup de fierté, que « dès le départ, nous voulions éviter de devenir un bidonville de plus. Nous avons voulu imaginer une vraie ville basée sur l’égalité de classe et de genre, où tout le monde puisse se développer dans des conditions égales » (12).

Des objectifs en grande partie réalisés. Entre autres, des milliers d’arbres ont été plantés et des dizaines de jardins potagers créés, destinés à l’approvisionnement de centaines de cuisines populaires et autant de cantines scolaires. Les « comedores populares » (cantines populaires ou cuisines collectives) quant àelles, organisations des mères de familles qui mettent en commun l’achat et la préparation des aliments crées dans les années 70, dépassant l’aspect alimentaire, « sont devenues de véritables outils d’organisation et d’éducation populaire (13) ».

Quant aux services de base, l’accès au courant électrique et à l’eau potable à partir de 1975 a marqué une étape décisive. En 1980 a commencé la construction des lagunes de traitement des eaux usées destinées à irriguer la zone agricole. Les services de santé et d’éducation se sont multipliés. La population, augmentant sans cesse, a exigé de nouveaux lotissements et l’extension de la zone urbaine. Une des idées-force de Villa El Salvador dès le début a été d’en faire non pas une ville-dortoir, mais un ville productive. Le projet initial réserve pour cela deux zones importantes, l’une dédiée à la production agricole et l’autre à l’installation d’un parc industriel. Ces zones devront être fermement défendues par les autorités communales contre les nouvelles occupations de terrain.. Petit à petit se constitua un réseau de petites entreprises groupées autour de sept secteurs productifs : meuble, métal-mécanique, habillement, chaussure, artisanat, fonderie et aliments… Un héritage qui fait aujourd’hui de Villa El Salvador le principal lieu péruvien de production de meubles (14).

Dès 1983, Villa El Salvador fut constituée officiellement en municipalité, et la question de la coexistence d’un double pouvoir se présenta… Des efforts furent faits dans le sens de la co-gestion, de la coexistence de l’organisation politique traditionnelle et du système représentatif classique. Des réponses furent mises en œuvre, intéressantes, qui se traduisirent notamment par une pratique de participation de la population à l’élaboration des plans de développement de la ville, ainsi qu’à partir des années 2000, par l’instauration, sur le modèle de la ville de Porto Alegre au Brésil, d’un budget participatif.

Pour plus de développements sur l’évolution récente de Villa El Salvador, en plus de celui, très détaillé, de Denis Sulmont, le magnifique et très instructif article/reportage de Construire l’utopie, dont voici la conclusion :

« Villa El Salvador est née sur le scénario classique qui donne naissance aux bidonvilles qui entourent Lima. Mais ici, la participation collective des habitants a permis l’un des plus incroyables exemples d’autogestion urbaine et de construction participative d’une ville. Malgré la fin de l’expérience, celle-ci montre qu’il est possible d’imaginer d’autres manières de fonctionner, même à grande échelle. En partant de leurs besoins concrets et en s’organisant, les créateurs de Villa nous donnent de la matière à rêver… » (15).

 

NOTES :

 

(1) : Jean-Michel Rodrigo et Marina Paugam, Villa el Salvador, les bâtisseurs du désert, documentaire, 52 min, 2008. C’est cette formidable expérience que nous racontent Jean-Michel Rodrigo qui a vécu au Pérou dans les années quatre-vingt à l’époque où la ville n’avait qu’une dizaine d’années, et Marina Paugam, sa compagne. Il y est retourné en 2008 pour savoir ce que cette utopie géante était devenue. Tout en restant à bonne distance de son sujet, il retrace avec témoignages et images d’archives la vie des habitants de Villa el Salvador de sa création à aujourd’hui. Pour voir les programmes de projection ou acheter le DVD, voir le site des réalisateurs : http://www.mecanosprod.com/52_MINUTES/VILLA_EL_SALVADOR_LES%20BATISSEURS_DU_DESERT.htm

(2) : Denis Sulmont, Pérou – Gestion participative d’un district populaire urbain : L’expérience de Villa El Salvador, mis en ligne le 1er juillet 2004 dans le n°2737 de la revue Dial – Diffusion d’Informations sur l’Amérique Latine -, disponible à l’adresse suivante : http://www.alterinfos.org/spip.php?article1045

Article traduit (de l’espagnol) par Dial et issu de l’intervention lors du Forum « Les alternatives latino-américaines » organisé par DIAL à Lyon les 23 et 24 avril 2004.

(3) : Ibid.

(4) : Carola ORTEGA-TRUR, PEROU : Les cantines populaires de Villa El Salvador ou le sentier de la démocratie participative, article issu des PREMIERES JOURNEES DOCTORALES SUR LA PARTICIPATION DU PUBLIC ET LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE, Organisées par le GIS, Participation du public, décision, démocratie participative – Lyon, 27-28 novembre 2009, et disponible ici : http://www.participation-et-democratie.fr/fr/system/files/15Carola%20Ortega-Trur.pdf

(5) : Ibid.

(6) : « Autogestion urbaine : l’exemple de Villa El Salvador », reportage de Construire l’utopie – un voyage-reportage sur l’autogestion, le pouvoir populaire et la participation démocratique -, disponible sur le site internet de Construire l’utopie, à l’adresse suivante : http://www.utopiasproject.lautre.net/reportages/article/perou

(7) : Denis Sulmont, Pérou – Gestion participative d’un district populaire urbain : L’expérience de Villa El Salvador, mis en ligne le 1er juillet 2004 dans le n°2737 de la revue Dial – Diffusion d’Informations sur l’Amérique Latine -, disponible à l’adresse suivante : http://www.alterinfos.org/spip.php?article1045

Article traduit (de l’espagnol) par Dial et issu de l’intervention lors du Forum « Les alternatives latino-américaines » organisé par DIAL à Lyon les 23 et 24 avril 2004.

(8) : « Autogestion urbaine : l’exemple de Villa El Salvador », reportage de Construire l’utopie – un voyage-reportage sur l’autogestion, le pouvoir populaire et la participation démocratique -, disponible sur le site internet de Construire l’utopie, à l’adresse suivante : http://www.utopiasproject.lautre.net/reportages/article/perou

(9) : Ibid.

(10) : Carola ORTEGA-TRUR, PEROU : Les cantines populaires de Villa El Salvador ou le sentier de la démocratie participative, article issu des PREMIERES JOURNEES DOCTORALES SUR LA PARTICIPATION DU PUBLIC ET LA DEMOCRATIE PARTICIPATIVE, Organisées par le GIS, Participation du public, décision, démocratie participative – Lyon, 27-28 novembre 2009, et disponible ici : http://www.participation-et-democratie.fr/fr/system/files/15Carola%20Ortega-Trur.pdf

(11) : Extraits du Site internet Imagination for people, dont les informations ont pour source « L’utopie n’est pas un rêve : Villa El Salvador », article de par hysôre et Cécile Delayen du samedi 18 juillet 2009, publié sur le site Agoravox à l’adresse : http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/l-utopie-n-est-pas-un-reve-villa-58988

(12) : « Autogestion urbaine : l’exemple de Villa El Salvador », reportage de Construire l’utopie – un voyage-reportage sur l’autogestion, le pouvoir populaire et la participation démocratique -, disponible sur le site internet de Construire l’utopie, à l’adresse suivante : http://www.utopiasproject.lautre.net/reportages/article/perou

(13) : Carola ORTEGA-TRUR, PEROU : Les cantines populaires de Villa El Salvador ou le sentier de la démocratie participative, article issu des PREMIÈRES JOURNÉES DOCTORALES SUR LA PARTICIPATION DU PUBLIC ET LA DÉMOCRATIE PARTICIPATIVE, Organisées par le GIS, Participation du public, décision, démocratie participative – Lyon, 27-28 novembre 2009, et disponible ici :http://www.participation-et-democratie.fr/fr/system/files/15Carola%20Ortega-Trur.pdf

(14) : Paragraphe issu de Denis Sulmont, Pérou – Gestion participative d’un district populaire urbain : L’expérience de Villa El Salvador, mis en ligne le 1er juillet 2004 dans le n°2737 de la revue Dial – Diffusion d’Informations sur l’Amérique Latine -, disponible à l’adresse suivante : http://www.alterinfos.org/spip.php?article1045

Article traduit (de l’espagnol) par Dial et issu de l’intervention lors du Forum « Les alternatives latino-américaines » organisé par DIAL à Lyon les 23 et 24 avril 2004. DIAL

(15) « Autogestion urbaine : l’exemple de Villa El Salvador », reportage de Construire l’utopie – un voyage-reportage sur l’autogestion, le pouvoir populaire et la participation démocratique -, disponible sur le site internet de Construire l’utopie, à l’adresse suivante : http://www.utopiasproject.lautre.net/reportages/article/perou