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Une assemblée locale d’habitants ayant pour charge de prendre les décisions politiques importantes sur son territoire ne serait-elle pas une foire d’empoigne, une joute verbale sans respect aucun des personnes, en bref un grand n’importe quoi ??

 

Règles de fonctionnement d’une assemblée locale : un cadre commun pour discuter et décider ensemble, dans le respect de chacun

 

La pratique de l’assemblée locale d’habitants pour décider des affaires communes (pour prendre les décisions politiques qui concernent les habitants et leur territoire) est un mode d’organisation politique récurrent dans l’histoire qui connaît un renouveau d’ampleur en plusieurs endroits du monde. En France, de plus en plus d’individus et collectifs recommencent à prendre au sérieux cet outil démocratique fondamental passé un temps aux oubliettes du fait de la centralisation étatique à outrance qui caractérise notre système politique.

 

Comme nous n’avons, pour la plupart d’entre nous, jamais participé à une assemblée locale ouverte à tous, nous nous en faisons souvent une image fausse. Nous nous imaginons que de telles assemblées consistent en des foires d’empoigne, des arènes de combat verbal, ou les plus grandes gueules pourraient aisément monopoliser la parole, etc… Or, une telle crainte n’a rien de fondée au vue de la pratique - passée ou actuelle - des assemblées. Mais cette crainte n’est que la traduction logique de notre profond manque de pratique en la matière.

 

Dans la réalité, une assemblée se donne à elle-même, toujours, des règles de fonctionnement, qui permettent aux débats d’être constructifs, et aux prises de paroles intempestives d’être réfrénées, aux prises de décisions d’être mûries et réfléchies. Des règles simples, de prise de parole, de déroulement des discussions, de respect de la parole de chacun, des règles définissant la manière dont les participants peuvent faire des propositions et la manière et les modalités selon lesquelles les votes se déroulent au sein de l’assemblée.

 

Ces moyens pour qu’une assemblée se passe bien et soit constructive sont à déterminer par les participants eux-mêmes, petit-à-petit, en fonction aussi des problèmes qu’ils rencontrent, que l’assemblée rencontre. Ces moyens constituent des savoirs-faire humains, et s’améliorent sans cesse par la pratique. On peut imaginer des processus de discussion et de prise de décision très divers, et s’inspirer de pratiques venant de tout horizon.

 

Par exemple, profitant de la grande expérience en la matière des plus âgés – qui pour certains avaient participé en 1936 au mouvement d’auto-organisation populaire anarchiste en Catalogne, en Andalousie ou ailleurs -, les assemblées locales en Espagne en 2011 fonctionnaient selon des procédures très élaborées, qui ont d’ailleurs permis leur succès et le grand nombre de personnes qui y participaient, jeunes comme personnes âgées, ensemble. Un exemple de règlement d’assemblée locale, celui de la ville de Murcie, prévoyant comment les discussions se déroulent, selon quelles règles, et comment sont prises les décisions, peut être consulté ici.

 

Autre exemple parmi de nombreux autres, les assemblées d’habitants de la Nouvelle-Angleterre aux États-Unis, s’inspirent d’un petit livre, les Robert’s Rule of Order, qui détaille la manière dont chaque participant peut prendre la parole, faire des propositions etc… C’est un livre qui rassemble les meilleures pratiques, et qui évolue chaque année en fonction des nouveaux problèmes ou difficultés rencontrés par les assemblées au cours de leurs réunions. Chaque assemblée peut décider de les adapter comme elle l’entend.

 

En France, ce savoir-faire démocratique, présent avant et pendant la Révolution française, dans les communes libres de 1870-1871 ou dans les pratiques du mouvement ouvrier au début du XXème siècle a relativement disparu de notre horizon social et politique, en partie à cause de la centralisation à l’extrême mise en œuvre par l’État français. Ce n’est que par la pratique que dans chaque ville, village ou quartier de ville nous pouvons (ré)apprendre à discuter, à débattre et à prendre des décisions ensemble, dans le respect de chacun, quelque soit sa condition économique ou sociale.

 

C’est pour cela qu’ont été lancés, entre autres, l’Université du Nous (UDN) à Chambéry (qui propose des formations en plusieurs endroits de France sur les processus d’intelligence collective, la prise de décision par consentement…) ou encore Les maîtres ignorants…

 
 

Les maîtres ignorants – Centre d’autoformation à la pratique démocratique

Extraits du site internet des Maîtres ignorants

 

Nous former pour inventer une réelle démocratie…

 

Révolutions dans le monde arabe, mouvement d’occupation des places en Espagne, en Grèce et ailleurs, processus constitutionnel en Islande… : l’exigence de démocratie est de plus en plus forte à travers le monde. D’une démocratie réelle, où la décision collective ne soit pas confisquée par une élite, et où chacun puisse effectivement participer à la construction des solutions aux problèmes de la société.

Pourtant, ceux qui ont participé à ces mouvements ont pu en faire l’expérience : pratiquer la démocratie n’est pas chose facile. Garantir le caractère inclusif, horizontal et non violent d’une assemblée, connaître et maîtriser les outils de débat et de décision sur Internet, permettre à l’intelligence collective de s’exprimer dans le respect de l’autonomie de chacun, éviter les pièges qui mènent à des oppositions ou des unanimités également stériles plutôt qu’à l’élaboration de projets communs… tout cela nécessite non seulement de la volonté, mais aussi de la méthodologie, des techniques, des compétences qu’il nous faut acquérir.

C’est pour cela que nous lançons le centre de formation à la pratique démocratique « Les maîtres ignorants » : un espace neutre, indépendant de tout mouvement politique ou social et de tout financement institutionnel, mais ouvert à tous ceux qui souhaitent développer leurs connaissances et leurs aptitudes pour les mettre au service des assemblées et d’un processus de décision collective démocratique.

« Maîtres ignorants » car, comme Joseph Jacotot, nous enseignerons une langue que nous ne connaissons pas, une « discipline » qui reste largement à inventer mais dont chacun d’entre nous possède les fondements, et que nous avons la volonté commune de faire progresser ».

 

Pourquoi un centre de formation ?

 

On voit aujourd’hui se développer différents mouvements et initiatives (projets de « transition », mouvement d’ « indignés », etc.) ayant en commun une nouvelle façon d’investir l’espace politique :  faire appel à la créativité de chacun, à l’intelligence collective, à l’horizontalité et à l’inclusion pour transformer la société dans un sens réellement démocratique.

Cette nouvelle approche repose sur quelques outils. Notamment :

  • l’assemblée, qui permet à l’échelon local de venir partager des constats, de confronter des ébauches de solutions et de construire des projets à partir de la variété des points de vue de chacun ;
  • le net, lieu d’échange d’informations, d’expériences et de pratiques entre différents territoires, et parfois de décision collective grâce aux outils de vote électronique.

Mais ces outils ne se maîtrisent pas d’eux-mêmes. Mal préparée ou mal animée, une assemblée peut se limiter à une simple succession de vœux pieux ou à une joute verbale entre tribuns ; le net est riche de nombreuses potentialités, mais souvent l’usage qui en est fait évoque plus une juxtaposition de monologues que la construction de décisions et de savoirs communs.

Pour donner toutes ses chances à la pratique démocratique de se développer, nous avons donc besoin de nous former mutuellement. De confronter nos expériences sur ce qui marche et ce qui ne marche pas, d’évaluer ensemble nos pratiques, d’expérimenter de nouveaux outils et de nouvelles méthodes. Et cela, dans un cadre ouvert, qui ne requiert aucun accord préalable des participants, si ce n’est l’envie de faire progresser ensemble l’expertise collective.

C’est la raison d’être des « Maîtres ignorants ».