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Sur la possibilité d’assemblées citoyennes locales, par un élu engagé de la ville de Montréal, au Québec.

 

Ces lignes sont issues de la préface faite par Marcel Sévigny, Conseiller municipal indépendant au très très enrichissant livre de Janet Biehl : Le municipalisme libertaire, Éditions Ecosiété, 1998, Montréal.

 

« Ressusciter la politique la construction et l’expansion de la démocratie directe locale, de telle façon que les simples citoyennes et citoyens puissent prendre les décisions pour leur communauté et pour leur société dans son ensemble. » 

 

En résumant admirablement la pensée de l’écologiste américain Murray Bookchin, [Janet Biehl] nous propose, à travers le projet de municipalisme libertaire, un guide pratique pour la mise en application des idées du philosophe du Vermont et des actions à entreprendre pour que les citoyennes et les citoyens reprennent en main, dans leurs villes, leurs quartiers et leurs villages, le pouvoir d’organiser leur vie afin d’en arriver à une société où chacun puisse s’épanouir dans le respect mutuel et l’harmonie avec la nature.

Le milieu de vie saisi dans sa globalité – c’est-à-dire le lieu de résidence, les coopératives d’habitation ou de consommation, la bibliothèque locale, la piscine municipale, la maison de la culture, le dépanneur du coin ou le coiffeur, l’école du quartier, la clinique médicale communautaire, la garderie populaire, le lieu de travail parfois, etc. – ce milieu complet de vie composé d’espaces où peut s’organiser la résistance à la décomposition sociale doit se transformer en un outil potentiel et réel pour la recomposition d’un pouvoir populaire. Nombre de citoyennes et de citoyens sont très sensibles à la protection et à l’amélioration de leur milieu de vie, dans leur quartier.

Pourquoi alors ce milieu de vie ne deviendrait-il pas un lieu privilégié pour la reconquête de la démocratie, sa radicalisation et peut-être davantage, un lieu unique de transformation sociale profonde ? Pourquoi ne pas faire de la communauté locale l’espace où pourrait s’inventer de nouvelles institutions politiques et sociales, contrôlées par les citoyennes et les citoyens, et à partir desquelles de nouveaux rapports entre communautés locales et régionales pourraient se tisser et où la notion de décentralisation aurait une tout autre signification que celle qu’on prétend instituer aujourd’hui sur le territoire québécois ? C’est le rôle que pourraient jouer les assemblées publiques que préconise Janet Biehl afin de redonner toute leur valeur éducative aux débats et aux discussions politiques face à face sur des enjeux locaux.

Nous n’avons pas d’autre choix que celui de résister et c’est ce que comprennent des dizaines de communautés locales au Québec qui font face à la perte de services essentiels (bureau de poste, école, CLSC etc.) à cause de la « rationalisation » de l’économie. C’est l’existence même de plusieurs d’entre elles qui est en jeu. Ces milliers de petites initiatives locales qui cherchent à contrer le phénomène qui mène à la désintégration sociale recèlent une puissante volonté de résistance. Mais cette résistance se mue rarement en solution de remplacement politique ou en de nouvelles formes de contre-pouvoir. Il faudra bien un jour y arriver pourtant.

C’est dans ce but que Janet Biehl insiste dans ce livre afin que se regroupent des individus au sein d’un mouvement municipaliste libertaire, identifié comme tel par la communauté, et dont la dimension éducative serait au cœur de l’action politique. Cette conception de l’organisation politique locale rejoint mes propres préoccupations et une grande partie de ma pratique politique dans mon quartier. Le municipalisme libertaire que nous propose ici Janet Biehl vient appuyer ma conception qui veut faire du lieu principal de notre vie, notre quartier ou notre communauté, le site de la résistance à la domination, mais aussi celui de la mise en place parallèle, ou simplement de la reconquête, d’institutions locales qui pourraient agir, d’une part, comme contre-pouvoir à celui de l’État et des autres instances hiérarchiques et, d’autre part, comme outils de développement et d’émancipation sociale, politique, économique et culturelle ( …)

Je ne voudrais pas créer l’illusion que la mise en œuvre du municipalisme libertaire soit chose facile. L’apathie quasi générale des citoyennes et des citoyens devant le défi du changement est un phénomène bien réel qu’il nous faut combattre (…)

Mais à tous ceux qui se disent que « nous n’avons pas le choix », qu’il nous faut briser le cercle de la dépendance aux institutions étatiques et à toutes les hiérarchies, ce livre dira qu’il faut agir localement pour développer un projet individuel et collectif de réappropriation de nos vies, projet d’action accessible à toutes et tous.

Parce que j’ai acquis la conviction que l’action sociale et politique à l’échelon local est le socle sur lequel on peut élever un projet politique durable, et parce qu’il me semble possible que les citoyennes et les citoyens puissent, à cet échelon, intervenir directement dans la prise de décision touchant leur communauté et leur société, j’en suis venu à la conclusion que l’essentiel des initiatives civiques et politiques doit naître à l’échelon local. Ainsi, l’articulation d’un projet politique fondé sur le municipalisme libertaire, tel que Janet Biehl nous le présente, cadre à merveille avec mon engagement dans les luttes urbaines depuis 25 ans, c’est-à-dire que l’essentiel de l’action se mène à partir de la ville, des quartiers et des villages, et que la philosophie organisationnelle repose sur l’activité des citoyennes et des citoyens, l’autogestion, la démocratie directe et participative.

Comme le définit Janet Biehl, le municipalisme libertaire veut ressusciter la politique dans le sens primitif du terme : la construction et l’expansion de la démocratie directe locale, de telle façon que les simples citoyennes et citoyens puissent prendre les décisions pour leur communauté et pour leur société dans son ensemble. Tous conviennent que la politique municipale est ce qui est le plus près du citoyen. C’est donc là que doit se concentrer l’action politique (…)

En ce sens, le projet politique du municipalisme libertaire que nous propose ce livre arrive à point pour tous ceux et toutes celles qui n’ont pas cessé de croire que la société peut fonctionner selon une autre logique que celle du capitalisme, de la hiérarchie et de la domination, et qui, malgré la conjoncture, ont conservé l’espoir de reprendre le contrôle de leurs vies. Je suis convaincu qu’il s’agit d’un livre important, car le municipalisme libertaire réussit à proposer un débouché politique concret, une autre conception de la politique municipale beaucoup plus compatible avec l’esprit de ces milliers de petites initiatives de résistance sociale, économique et culturelle de nos milieux de vie.

Marcel Sévigny

Conseiller municipal indépendant

Montréal

Août 1998