
Ce précieux article, écrit par Lisa Roth, est issu de l’excellent site internet New Compass (malheureusement seulement en anglais) - Les nouveaux mouvements ont besoin de nouvelles idées ! -, anciennement Communalisme – Un journal de l’écologie sociale (Communalism – A Social Ecology Journal). Il a été publié le 1er mai 2011. Il est disponible à l’adresse :
http://new-compass.net/articles/state-oaxaca-0. Il a été traduit par Hadrien Delahousse pour
Populaction.com.
L’État d’Oaxaca, Mexique
Par Lisa Roth
Oaxaca semble être une oasis au milieu des montagnes imposantes du sud du Mexique. Les touristes affluent en masse dans cette pittoresque ville coloniale, attirés par son bel artisanat et ses objets traditionnels magnifiques. Oaxaca est aussi un endroit aux forts conflits sociaux. La population indigène fait face à la discrimination, les femmes sont traitées comme inférieures et les mouvements sociaux sont criminalisés.
Pendant 80 ans, le PRI (le Parti Révolutionnaire Institutionnel) a gouverné l’État d’Oaxaca de manière quasi dictatoriale, sans égard pour les droits de la personne, et Oaxaca est devenu l’un des États les plus pauvres du Mexique. Pendant quelques mois en 2006, pourtant, Oaxaca a été une société « libre » où l’ Asamblea Popular de los Pueblos de Oaxaca (APPO) – [en français], Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca – était devenue le gouvernement de facto, malgré le fait que PRI était toujours officiellement au pouvoir.
Une société « libre »
Tout commença avec les professeurs de la section 22 de l’Union Nationale des Travailleurs de l’Éducation d’Oaxaca. Depuis 1986, ils organisaient des grèves chaque année. En 2006 leurs revendications comprenaient la fourniture d’uniformes et de chaussures pour tous les écoliers, une augmentation des bourses ainsi que des budgets pour la construction d’écoles ou les équipements scolaires. La police réagit avec une force brutale, expulsant les professeurs de la place principale de la ville d’Oaxaca.
Après des années d’insatisfaction envers un régime autoritaire qui empêchait toute participation des citoyens au développement de la société, cet incident fut une étincelle pour la naissance d’un mouvement populaire qui demandait un changement structurel. L’Assemblée populaire des peuples d’Oaxaca (APPO) devint l’outil d’organisation clé. Le but initial de l’APPO était de développer les coopérations à tous les niveaux de la société – du niveau le plus local à celui du gouvernement de l’État – pour pouvoir changer les choses positivement. Les efforts vers ce but furent contrecarrés par une plus grande répression. C’est alors que l’APPO décida de combattre ces instances qui empêchaient la démocratie et ne respectaient pas les droits humains les plus basiques. Sa première demande fut le renvoi du gouverneur Ulises Ruiz Ortiz, et dans les mois qui suivirent Oaxaca se transforma en ville en résistance. Quelques touristes s’y rendirent, et 300.000-500.000 personnes se réunissaient chaque semaine pour des « méga marches ».
L’APPO était un exemple montrant comment un mouvement de résistance peut développer une alternative aux partis politiques et au pouvoir d’État. Pendant des mois, Oaxaca fut une société « libre ». Malgré le fait que le gouvernement de l’État tenait officiellement le pouvoir, l’APPO devint le gouvernement de facto représentant les organisations de base, les communautés indigènes et les individus voulant créer un nouvel Oaxaca. A tous les niveaux de la société – du voisinage au bloc d’habitation, des syndicats aux quartiers de la ville – les gens pouvaient s’assembler et discuter ensemble de comment améliorer la situation des habitants. Même la police disparut des rues de la ville, comme le décrit ce compte-rendu de Gustavo Esteva :
« De Juin à Octobre 2006, il n’y avait pas de police dans la ville d’Oaxaca (population 600,000), pas même pour la circulation. Le gouverneur et ses fonctionnaires se réunissaient de manière secrète dans des hôtels ou des maisons privées; aucun d’eux n’osait se montrer à son bureau. L’Assemblée Populaire des Peuples d’Oaxaca (APPO) a posté des gardes 24 h sur 24 dans tous les bâtiments publics et les stations de radio et de télé qu’elle contrôlait. Quand le gouverneur commença à envoyé ses sbires dans des attaques de guérilla nocturnes contre les gardes, les gens répondirent en construisant des barricades. Plus de 1000 barricades étaient mis en place chaque soir vers 11 heure, autour des campements et aux intersections stratégiques. Elles étaient enlevées chaque matin à 6 heure pour restaurer le trafic normal. Malgré ces attaques, ces quelques mois furent les moins violents (moins d’agressions, de meurtres et de blessures et même d’accidents routiers) depuis dix ans. Les travailleurs syndiqués qui appartenaient à l’APPO assuraient les services publics basiques tels la collecte des ordures. »
Répression de l’État central mexicain
Les forces de sécurité menaçaient constamment les activistes les plus visibles. Quand l’activiste et citoyen américain Brad Will fut tué pendant qu’il filmait les affrontements entre l’APPO et la police civile le 27 Octobre 2006, les médias internationaux commencèrent à parler du conflit d’Oaxaca. Le président mexicain Vicente Fox envoya rapidement les forces fédérales, et la police fédérale pour assiéger Oaxaca. Au mois de Novembre, les méga marches dans les rues de la capitale d’État se transformèrent à chaque fois en combats de rue. L’une d’entre elle se termina par des combats de rue particulièrement durs à la suite desquels plusieurs centaines d’activistes furent emprisonnés. Nombre d’entre eux s’exilèrent vers un autre État pour éviter la prison.
La police fédérale resta jusqu’à janvier 2007. Pendant cette période, la forte unité et la large participation des gens à l’effort pour un Oaxaca plus démocratique céda peu à peu du terrain face à la peur des arrestations et des persécutions. Ce fut un coup dur pour l’APPO, dont le leader, Flavio Sosa, fut arrêté alors qu’il se rendait à une réunion de dialogue à Mexico City le 4 décembre 2007. Ses 16 mois d »emprisonnement attestent de la criminalisation de la protestation sociale au Mexique.
« L’APPO est chacun de nous et tout le monde »
L’année 2006 fut une année de répression brutale des conflits sociaux au Mexique, avec l’emprisonnement d’activistes dans les États de l’Atenco et du Chiapas en plus de celui d’Oaxaca. Les gens dans les autres parties du Mexique s’identifièrent avec la lutte à Oaxaca, et le slogan « Nous sommes tous l’APPO » était chanté dans les manifestations à travers le pays. L’APPO était vue comme un exemple unique d’expérience montrant comment il est possible d’unifier des groupes et des individus pour un but commun, malgré la diversité des convictions et des méthodes. Quand j’ai séjourné à Oaxaca en 2010, j’ai rencontré un de mes amis qui venait juste de rentrer après un exil forcé depuis 2006. Elle me dit que l’APPO avait perdu de sa force mais qu’ »elle vivait toujours en chacun de nous. Il n’appartient qu’à nous d’obtenir le changement que nous voulons voir arriver. On coopère toujours avec quelques organisations, mais pas à la même échelle qu’en 2006″.
Un commentaire dans le journal La Jornada souligna : « l’APPO n’est pas battue, et elle n’a pas non plus cessé d’exister. Le contraire est arrivé; L’APPO a changé significativement les consciences et développé des nouvelles méthodes d’organisation. » Ces nouvelles méthodes incluent la pratique des petites assemblées, à chaque niveau de la société où un problème peut être soulevé et les représentants de l’APPO ou d’autres organisations s’engager dans un dialogue pour trouver une solution au problème. Ce type d’organisation implique un changement graduel des structures politico-sociales dans l’État d’Oaxaca. L’élection d’un nouveau gouverneur en Juillet 2010 (qui pour la première fois depuis 80 ans n’appartenait pas au PRI) a montré que les gens voulaient le changement.
Depuis que l’APPO a été créée, le PRI a constitué la plus grosse menace pour l’existence du mouvement. La peur des arrestations, des harcèlements ou des attaques physiques reste une peur de tous les jours pour les activistes d’Oaxaca, même si les combats de rues se sont calmés. La fragmentation des organisations et des individus a entraîné une perte de pouvoir pour l’APPO, mais le fait qu’elle continue d’exister reste important comme symbole de la possibilité d’une nouvelle société où la démocratie directe joue une part importante et où les citoyens ont leur mot à dire dans le fonctionnement et l’évolution de la société.
Le gouverneur Gabino Cue et la Justice
Avec l’élection du nouveau gouverneur Gabino Cue en 2010, un vent d’espoir souffla sur Oaxaca. Gabino Cue était le premier gouverneur non-PRI élu depuis 8 décennies à Oaxaca. Le vote en lui-même fut plus un vote de protestation contre le PRI qu’un vote de soutien à Cue. Dans le but de mettre fin à l’hégémonie électorale du PRI, le PRD (Parti Démocratique Révolutionnaire) dut faire une alliance avec le PAN (Parti de l’Action Nationale), Convergence et le PT (Parti des Travailleurs). Cette coalition fut dénommée « Pour la Paix et le Progrès », et semblait bien étrange dans la vie politique mexicaine, car le PRD est présumément de gauche et le PAN est un parti de droite (note : il n’y a pas clairement de parti de gauche au Mexique). La coalition semblait absurde, mais pour les gens d’Oaxaca c’était mieux que le PRI.
Beaucoup ont espéré la justice et l’emprisonnement de l’ex-gouverneur, Ulises Ruiz Ortiz, coupable pour les émeutes de 2006 et les multiples disparitions et meurtres à Oaxaca ces dernières années. En Octobre 2009, l’ex-gouverneur fut jugé coupable par la Cour Suprême de Justice pour les violations des droits humains commises en 2006, mais le verdict était plus une simple résolution qu’une condamnation. La Cour ne sanctionna pas le gouverneur, qui est toujours libre. Le système de justice mexicain n’a pas fait justice aux gens d’Oaxaca, car prononcer un blâme ne sert à rien si l’ex-gouverneur ne peut pas être condamné.
L’ex-gouverneur est aussi suspecté d’avoir volé des millions de dollars sur les budgets de différents départements de l’administration de l’État. Le gouvernement de Cue a constaté de nombreux faits irréguliers dans lesquels de l’argent avait disparu mystérieusement sous le règne d’Ulises. Une enquête sur le rôle de l’ex-gouverneur dans ces faits est actuellement en cours à Oaxaca.
Le fait qu’Ulises Ruiz Ortiz n’a toujours pas été véritablement jugé pour les émeutes de 2006 laissent les gens d’Oaxaca avec un fort sentiment d’injustice. Le président du pays a ignoré cette injustice, donc quand il s’est rendu à Oaxaca le 16 Février 2011, les professeurs ont encore eu à faire face à la police après une manifestation dans les rues coloniales d »Oaxaca. Interrogé sur l’ex-gouverneur, un de mes amis me dit que cette impunité était inacceptable, même si elle est commune au Mexique. Il ne pense pas que justice sera faite avec le gouverneur Cue, ni avec un autre politicien au pouvoir. Le système est trop corrompu, et l’impunité règne.
Les investigations contre l’ex-gouverneur continuent, et Oaxaca continue de lutter pour la paix dans la région. Ces dernières années, les luttes à propos de la terre ont évolué vers des conflits sérieux dans beaucoup de régions à Oaxaca. Le conflit le plus connu est celui de San Juan Copala où il semble n’y avoir aucun espoir de solution.
L’impunité pour les meurtres d’activistes commis en 2006 et en 2010 (27 avril) contre les activistes Jyri Jaakkola et Betty Carino, et contre le leader du MULT-I (le Mouvement Indépendant pour le Mouvement de Libération Triqui), Timoteo Alejandro Ramirez et sa femme (20 mai) est une blessure ouverte pour la société d’Oaxaca. Qui sera amené devant la justice pour toutes ces atrocités ? Cette question reste sans réponse. Ou bien le gouverneur se penche sur cet héritage d’atrocités, ou bien Oaxaca se soulèvera une nouvelle fois.
Commentaire éditorial (de New Compass)
Voir les photos d’Oaxaca au Mexique de Lisa Roth sur Flickr.
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