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Gustavo Esteva, écrivain né en 1936, économiste et journaliste mexicain, particulièrement actif auprès des groupes communautaires en Amérique Latine, et un des fondateurs de l’Université de la Terre dans la ville de Oaxaca au Mexique, souligne l’héritage et le caractère gandhien des luttes indigènes et du zapatisme : non-violence, valeurs d’hospitalité et de tolérance, vision politique alternative fondée sur l’autonomie des communautés humaines (villages, villes, quartiers de ville…) et leur auto-gouvernement.

Esteva montre comment le mode d’organisation et les buts des communautés zapatistes au Mexique ressemblent bien à l’idéal d’organisation politique que souhaitait Gandhi pour son peuple : le swadeshi, une confédération de communautés villageoises autonomes, dont la prospérité serait assurée par une économie orientée vers les besoins locaux.

Cet article est un compte-rendu d’une intervention de Gustavo Esteva le 24 octobre 1998 à l’ancien couvent Santo Domingo, à San Cristóbal de Las Casas qui s’intitule : « Résistance indigène et philosophie gandhienne : entre autonomie et indépendance – » (Resistencia indigena y filisofia gandhiana : entre autonomia e independencia)

 

GANDHI ET L’INDÉPENDANCE NATIONALE : CONTRE L’ÉDIFICATION D’UN ÉTAT INDIEN, POUR L’AUTONOMIE DES COLLECTIVITÉS

 

Pour Gandhi la non-violence est fondamentalement et avant tout une forme d’organisation de la société, incompatible avec le but d’un État national, avec le monopole légitime de la violence. Pour lui, la non-violence, plus qu’une stratégie, est une forme d’organisation de la vie, une forme politique d’organisation de la vie.

Quand il s’adressait aux Anglais, à ceux qui colonisaient l’Inde, il utilisait les valeurs et les mots que les Anglais peuvent entendre, comme celui d »indépendance nationale », car il pensait que ces anglais pourraient comprendre qu’un peuple aspire à l’indépendance nationale. Mais quand il parlait à ceux de son peuple, Gandhi disait : en aucune manière nous ne cherchons l’indépendance nationale, nous ne voulons pas nationaliser l’indépendance britannique. Le pire qu’il pourrait arriver en Inde serait de se construire comme un État : nous sommes contre toutes les formes d’État. Il tint cette position jusqu’à l’ultime fin de ses jours.

 

LUTTES INDIGÈNES EN AMÉRIQUE DU SUD ET PENSÉE DE GANDHI : LA SOIF D’UN SYSTÈME POLITIQUE DIFFÈRENT

 

Esteva rapproche l’opposition de Gandhi à l’édification d’un État indien, et son aspiration à la construction d’une forme politique différente, aux messages des luttes indigènes en Amérique du Sud : 500 ans de résistance indigène ont dit : « ya basta » (ça suffit), nous ne voulons plus résister encore, ce que nous voulons maintenant c’est la libération, une libération qui ne soit pas le lieu pour construire un État national, ni pour reproduire ce modèle ou cette structure.

Nous voulons un régime politique, juridique, une forme d’organisation sociale dans laquelle nous pourrions exprimer notre manière d’être, la coexistence des différents. « Nous voulons un monde dans lequel rentrent beaucoup de mondes »; ce qui est en jeu est une libération des peuples indiens mais pas seulement pour les peuples indiens, pour le monde entier.

 

AUTO-GOUVERNEMENT ET CONFÉDÉRATION COMME SOLUTION !

 

L’objectif politique de Gandhi est un système politique permettant l’amélioration des conditions sociales de tous, le swadeshi : une confédération de communautés villageoises autonomes, dont la prospérité est assurée par une économie orientée vers les besoins locaux

Gandhi, comme les zapatistes, voit les démocraties formelles modernes (Gandhi a étudié le droit en Angleterre pendant plusieurs années) comme une étape de transition qui laisse la possibilité de créer des espaces pour faire autre chose : la démocratie radicale, par opposition à la démocratie formelle. Tant dans ses actes que dans ses prises de parole ou dans ses écrits, Gandhi parle et pense à un type de société non encore exploré.

Gandhi critiquait autant le capitalisme que le socialisme réel : dans les deux cas il y a toujours quelqu’un qui exploite les autres. Il imagine une société possible à partir d’une critique radicale du mode de production industriel et de tout son système de pensée et système institutionnel. Le pouvoir réellement au peuple, c’est ce que veut dire démocratie. Et c’est ce qu’est précisément le swadeshi, l’autonomie : les gens pouvant se gouverner eux-mêmes, pouvant construire une forme politique dans laquelle ils se gouvernent eux-mêmes. Il existe une énorme quantité de travail écrit par Gandhi sur l’auto-gouvernement, qui fait écho évidemment aux luttes des indiens et des zapatistes.

 

UN POINT COMMUN DE PLUS : L’HOSPITALITÉ !

 

Esteva met en avant un point commun de plus pour établir la connexion finale : la tolérance et l’hospitalité. Le message est le même à travers les âges : nous ne voulons pas de cette société. C’est d’une société hospitalière que nous voulons. Être hospitalier ne veut pas dire suivre quelqu’un, imiter un autre; cela implique d’ouvrir ses bras à l’autre et reconnaître son droit à avoir un lieu, à avoir un espace. On invite à croire en une société dans laquelle nous pourrions tous être hospitaliers, nous ouvrir à l’altérité de l’autre, et à accepter substantivement les convictions de l’autre. C’est un type de société qui parait être celui que nous devons construire, conclut Esteva : « c’est avec lui que marchait Gandhi, et que, je le crois, marchent les indiens et les zapatistes ».

 

POUR EN SAVOIR PLUS SUR LA PENSÉE DE L’ACTION DE GUSTAVO ESTEVA:

Lire en français de Gustavo Esteva, Au-delà du développement, dans Wolfgang Sachs et Gustavo Esteva, Des ruines du développement, Editions Ecosociété, 1996

Voir aussi les nombreux textes de Gustavo Esteva sur le net.