
Le 28 mars 2013 New Compass (www.new-compass.net) et l’Institut Transnational d’Ecologie Sociale (TRISE – Transnational Institute of Social Ecology – www.trise.org) ont organisé ensemble un atelier sur la démocratie participative au Forum Social Mondial de Tunis. L’objectif de l’atelier était de discuter sur la manière dont les formes de démocratie participative pratiquées par les mouvements sociaux tout autour du monde pourraient s’étendre au reste de la société, et sur la question de savoir à quoi ressemblerait une société de démocratie participative. Dans ce but, nous avons abordé certaines des expériences d’institutions, mécanismes et pratiques de démocratie directe locale qui existent actuellement dans le monde.
Beaucoup de personnes participèrent à l’atelier. La salle était remplie et plusieurs personnes durent s’asseoir par terre ou rester debout. Il y eut entre 50 et 60 participants.
L’atelier commença par des prises de paroles introductives de Dimitri Roussopoulos, Hadrien Delahousse et Nidhal Mimouni, à la suite de quoi les autres participants ont pu partager leurs expériences de démocratie participative.
Dimitri Roussopoulos : Démocratie participative – Perspectives pour démocratiser la démocratie
Le concept fondamental de démocratie participative est né dans les années 1960 avec le mouvement de protestation des jeunes. Ce mouvement émergea comme conséquence de l’énorme antipathie suscitée par la vieille gauche, celle des Marxistes-léninistes et des sociaux-démocrates. De nouvelles formes de participation, de dialogue et de débat furent créées qui donnèrent naissance aux pratiques de démocratie participative. Il y avait un désir de démocratiser la société, au-delà de la simple consultation et de la simple représentation. La démocratie, c’est quelque chose de plus que de voter une fois tous les 4 ou 5 ans; une société démocratique permet aux gens de prendre part au processus de prise de décision; elle est horizontale et non hiérarchique. Cette sensibilité donna naissance au mouvement de libération des femmes, au mouvement écologique, au mouvement pour la paix.
Les expériences de démocratie participative. Les politiciens disent que nous vivons en démocratie – mais nous voulons démocratiser la démocratie. Dans le Porto Alegre des années 1980, le gouvernement municipal en association avec la société civile entrepris une expérience remarquable appelée Budget Participatif, par laquelle les citoyens décident de comment dépenser le budget municipal. Le Budget Participatif existe désormais dans plus de 230 villes à travers le monde.
Dans la ville de Montréal nous avons élaboré une Charte des Droits et Responsabilités vis-à-vis de la ville. Ici le concept de citoyenneté s’applique à la ville. Dans ce document les citoyens de Montréal peuvent voir quelle est la responsabilité la ville vis-à-vis de ses citoyens (e.g logement décent, une eau potable propre et gratuite, etc.). La Charte, qui inclut des volets économique, environnemental et culturel, a été adoptée à l’unanimité par le Conseil municipal en 2006, et fait maintenant loi. Quiconque vit dans la ville est citoyen de Montréal, sans égard pour sa nationalité.
La Charte prévoit notamment un droit d’initiative citoyenne, par lequel les citoyens ordinaires peuvent intervenir dans la détermination des politiques de la ville en initiant un processus de pétition qui permet d’obliger les politiciens d’organiser une vaste consultation publique. Tout citoyen de la ville peut participer aux débats autour de l’élaboration des politiques publiques. Cela a contribué à enlever un peu de pouvoir aux politiciens, au profit des citoyens.
L’idée de la Charte des droits est si importante qu’il y a désormais une Charte mondiale des droits à la ville. Partout dans le monde on exige des villes qu’elles adoptent une Charte des droits pour leurs habitants. Dimitri encourage très fort tout le monde à faire en sorte que leur conseil municipal adopte cette Charte des droits, car elles sont un instrument important pour démocratiser nos villes et nos sociétés. La majorité des êtres humains vivent désormais dans les villes : dès lors, le droit à la ville et la démocratisation de la ville sont essentiels.
Dimitri Roussopoulos a, entre autres, coordonné l’ouvrage Participatory Democracy: Prospects for Democratizing Democracy, Black Rose Books, 2005.
Ses livres traduits en français : L’écologie politique – Au-delà de l’environnementalisme et Au Bout de L’Impasse a Gauche – récits de vie militant et perspectives d’avenir, Baillargeon/Piotte, 2007
Nidhal Mimouni : La Révolution et l’indépendance à Redeyef
Avant la révolution du 14 janvier 2011, il y a eut plusieurs autres manifestations et plusieurs petites révolutions en Tunisie. La plus connue est la révolution du petit village de Redeyef en 2008, dans le Sud du pays, une expérience vraiment unique. Bien que Redeyef soit très riche grâce à son phosphate très prisé, les gens du village et de la région souffrent de la pauvreté et sont négligés par le gouvernement.
Les étudiants de la région furent les premiers à se révolter. La réponse du régime de Ben Ali fut une répression policière brutale; quelques 10 000 policiers entourèrent le village, de nombreuses personnes furent tuées ou blessées et des milliers furent mis en prison. Les hommes du village se sont enfuis dans les montagnes autour de la ville, descendant et la nuit tombée pour essayer de se confronter aux policiers. Pendant le jour, les femmes du village manifestaient et occupaient les endroits publics. Pendant cette période, qui dura 8 mois, le village se déclara indépendant de l’État. Tout le monde vivait en autogestion. Un système très démocratique fut mis en place, malheureusement très peu étudiée encore. Nidhal souligne que de nombreux enseignements seraient à tirer de l’étude en profondeur de cette expérience.
Pour en savoir plus sur la révolution à Redeyef :
http://www.youtube.com/watch?v=T9ysyb7MR30
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?page=article_impr&id_article=24924
Un intervenant Tunisien, de la région, apporte encore quelques précisions, en mentionnant que d’autres villes se sont soulevées au même moment dans cette région minière, bloquant l’extraction du phosphate.
Hadrien Delahousse : Expériences locales de démocratie directe
En tous les points du globe existe une tradition ou une actualité de démocratie directe locale. La tradition et la diversité du continent Africain en la matière sont d’une richesse passionnante. On peut trouver dans ces nombreux exemples – pratiques politiques actuelles ou plus anciennes (dont l’une découle bien souvent de l’autre) – de quoi s’inspirer, ainsi que des exemples concrets des changements positifs en terme économique et social que de telles pratiques politiques collectives induisent souvent pour le citoyen ordinaire qui a eu son mot à dire dans le débat ou pu proposer un texte à l’assemblée. Autant d’inspiration et d’exemples de démocratie directe locale, de comment une assemblée locale d’habitants décisionnaire, ouverte à tous les habitants, peut fonctionner, et de comment une communauté, un village, une ville ou un quartier de ville peut s’auto-gouverner démocratiquement, en utilisant divers outils, parmi lesquels le vote en assemblée, après débat, à la majorité, au 2/3 ou à 75 %, ou au consentement ou à l’unanimité. Un des grands livres à lire sur le sujet (uniquement en anglais, malheureusement) est Indigenous African Institutions du professeur ghanéen George Ayittey. Il y a aussi, entre autres, les travaux des professeurs Joseph Ki-Zerbo (Burkina Faso) ou de Cheikh Anta Diop sur le fédéralisme en Afrique et sur la tradition de l’autonomie politique et de la prise de décision en commun. Pour quelques exemples, on peut lire par exemple sur Populaction :
Ou, en anglais, et sur Madagascar : http://www.scribd.com/doc/113073628/David-Graeber-2007-Provisional-Autonomous-Zone-Or-the-Ghost-State-in-Madagascar-ch-5-in-Possibilities-Essays-on-Hierarchy-Rebellion-and-Desire)
On peut lire aussi en Anglais African Anarchism : The History of A Movement, de I.E. Igariwey et Sam Mbah.
- En Amérique du Sud par exemple on voit que les idées et la pratique de l’auto-gouvernement et de la démocratie participative se développent énormément, touchant de plus en plus de villes et villages, quand dans nombre des constitutions récemment adoptées (Bolivie, Venezuela, Brésil…) est prévu l’encouragement de ces autonomies politiques plus ou moins relatives. A côté des Zapatistes, qui ont mis en place des assemblées locales décisionnelles, dans d’autres villes du Mexique également, telle Oaxaca, les habitants continuent de réadapter la tradition autochtone de prise de décision politique en commun. En Europe comme ailleurs, la centralisation des pouvoirs et l’étatisme rendent difficile pour des mouvements citoyens locaux d’entrer la sphère politique.
- Et alors, en Europe, quid des expériences de démocratie directe locale ? De nombreuses initiatives et réalisations – dont nous avons entendu parler aux informations ou pas -, plus ou moins durables et pérennes, à différentes échelles et de différentes natures. Là-dessus, consulter notamment le site internet (en anglais) New Compass, ou en français Populaction. Ainsi, en 2011, en Espagne comme en Grèce, en France, en Angleterre au Portugal, en Italie ou en Norvège, les gens ont utilisé l’institution de l’assemblée ouverte à tous comme moyen politique concret pour les populations pour reprendre leurs vies en main, retrouver leur liberté politique et reprendre un peu de pouvoir des mains des politiciens et des experts. Mais des expériences de plus-long terme existent également (dont les grands médias ne parlent pas forcément) en de nombreux points d’Europe.
- En France, par exemple, il existe quelques villages ou villes où des citoyens se sont présentés aux élections municipales sur un programme de démocratie directe locale, ont mis en place, pour prendre les décisions, des assemblées d’habitants – générales ou thématiques -, ouvertes à tous, comme par exemple dans le villages de Vandoncourt ou de Tordères. Un livre paru en 2012 est également à signaler, La Commune Libre de Saint-Martin, qui joue sur l’effacement de la frontière entre réalité et fiction pour nous raconter la vie de tous les jours d’une petite commune de 5000 habitants en France se déclarant libre, décidant de fonctionner sur le mode la démocratie directe, et s’efforçant de régler ses problèmes par elle-même.
- Ce qu’il est important de souligner, et qui constitue d’ailleurs une des raisons principales de l’utilisation par tant de citoyens de l’outil assemblée, ce sont les améliorations concrètes dans la vie de tous les jours qu’arrivent à apporter ces citoyens soudés, et comment ils parviennent à régler certains problèmes et trouver des solutions. Un exemple significatif est le village de Marinaleda dans le Sud de l’Espagne, en Andalousie. Les travailleurs agricoles et tout le village ont lutté de longues années, par les occupations, les manifestations, grèves de la faim, assemblées… pour pouvoir cultiver sur un terrain du village laissé à l’abandon par un grand propriétaire terrien. 1200 hectares de terre revinrent ainsi au village, ce qui permit la création d’une coopérative agricole. Le système de prise de décision en assemblée implanté, les villageois ont réussi à transformer leurs conditions matérielles de vie, en parvenant notamment à mettre en place un système d’auto-construction de maisons à très petit coût, et en parvenant à faire réduire le taux de chômage à 3 % (quand dans le reste de cette région pauvre, mais à la tradition d’auto-organisation très forte, il est plutôt autour de 30 %).
Lire à ce sujet : Utilité sociale et économique de la démocratie directe : l’exemple du village de Marinaleda en Espagne
ou en anglais : http://new-compass.net/articles/marinaleda-model et ici http://www.spatialagency.net/database/how/appropriation/marinaleda.
Marinaleda est un exemple de comment la démocratie directe locale peut mener à des améliorations économiques et sociales pour les populations et avoir une influence déterminante sur les conditions de vie immédiates.
Mettre en place des institutions de démocratie participative
Olga, de France, prend la parole pour relater son expérience de travail au sein d’une coopérative dont l’activité est d’aider les collectivités locales désireuses de mettre en place des institutions de démocratie participative, mais qui ne savent pas comment s’y prendre. Le phénomène commence à être plus fréquent, par exemple en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire.
Ce qui soulève un problème : le caractère bien réel de la participation des citoyens. Une démarche participative peut également être un « coup de communication » des politiciens au pouvoir, sans conséquences réelles, un moyen de légitimer des décisions déjà prises en amont.
Pour éviter cela, la coopérative s’est dotée d’une Charte d’intervention, sur laquelle l’autorité locale s’engage, une charte de concertation publique par laquelle l’autorité s’engage à prendre en compte les résultats des débats et les conclusions des citoyens.
On s’aperçoit que bien souvent, de telles initiatives permettent de réunir des gens qui ne s’étaient pas parlé avant. Un des défis, c’est aussi la peur qu’on les autorités locales, de manière générale, d’être confrontées directement à leurs citoyens. Un autre défi d’ampleur, c’est de convaincre les gens, et notamment les experts, de la compétence des citoyens en matière de ce qui est bon ou pas pour leur territoire. On constate aussi qu’il n’est pas forcément évident de mobiliser les gens.
Comment encourager la participation
Un des problèmes qui est revenu à plusieurs reprises dans les discussions pendant cet atelier est le problème de la faible participation des citoyens. La démocratie participative prend du temps, et les obligations de chacun, tant professionnelles que familiales, rendent difficile de trouver le temps. Notre temps est trop souvent consumé par nos vies privés.
Le fait est que les gens se déplacent et participent plus facilement aux institutions quand ces institutions ont de vrais pouvoirs de décision, comme c’est le cas de nombreux exemples de budget participatif. Mais cela prend aussi du temps de créer quelque chose de nouveau comme cela et pour que les gens commencent à avoir confiance dans les institutions participatives. La patience est très importante, et toute sorte de moyens encourageant les gens à s’impliquer dans le processus doivent être utilisés : repas communs avant l’évènement, bus gratuits pour amener les gens jusqu’au lieu de l’assemblée… Dimitri souligne le fait qu’à Porto Alegre, cela a pris 16 ans avant que les gens aient réellement confiance dans le processus et dès lors y participent en grand nombre.
1 Commentaire
Concernant l’article de Dimitri Roussopoulos sur la démocratie participative à Montréal, je veux dire que tout ce processus s’est organisé sous la houlette du pouvoir municipal, un gouvernement capitaliste et néo-libéral qui ne visait essentiellement que l’intégration des citoyens au fonctionnement de l’appareil municipal. Et c’est le cas aussi pour la charte citoyenne une vision très technocrate. C’est à mon avis une vision social-démocrate molle qui est déjà dans un cul de sac.