
30 ans de mobilisation collective et de démocratie directe dans le village de 2700 habitants de Marinaleda en Andalousie ; le résultat : un chômage quasi-inexistant, un (beau) logement pour tout le monde, et pour 15 euros par mois, une usine de conserve de légumes créée, des services publics locaux nombreux et gratuits ou presque, et 1200 hectares de terres en friche appartenant à un grand propriétaire récupérées pour l’exploitation agricole collective, sous forme de coopérative… Autant de victoires qui ont nécessité des efforts hors du commun, et l’implication de tous.
« Il nous a fallu trente ans pour en arriver là. Pas besoin d’être un grand clerc pour comprendre que ce sont nos solutions qui marchent. La spéculation immobilière, elle ne pouvait rien donner de bon. C’est la cupidité qui a plongé le monde dans la crise. Les gens sont surpris lorsqu’ils voient qu’ici qu’il n’y a presque pas de chômeurs et que tout le monde a sa propre maison. Mais c’est pourtant ça qui est normal. Ce qui n’a pas de sens c’est ce qui se fait ailleurs. Et qu’on ne vienne pas me dire que notre expérience n’est pas transposable : n’importe quelle ville peut faire la même chose si elle le souhaite » (1).
MOBILISATIONS COLLECTIVES ET NAISSANCE DE LA DÉMOCRATIE DIRECTE
Le village de Marinaleda se situe entre Séville et Cordoue, en Andalousie, région agricole dont la majorité des terres appartient, depuis des lustres, à de grands propriétaires terriens (les latifundiaires) : 2% des propriétaires y possèdent 50% des terres. C’est aussi une région au passé très riche et avec une forte tradition démocratique et militante de proposition et de construction d’alternatives. Les nombreux ouvriers agricoles journaliers, bien souvent payés une misère, y savent que la liberté sans la terre est un mensonge.
C’est dans ce contexte qu’en 1977 est fondé le SOC, syndicat des ouvriers des champs, avec comme point de mire la réforme agraire. A Marinaleda, en 1979, à l’occasion des premières élections démocratiques depuis Franco, le parti CUT (Collectif unitaires des travailleurs, parti anticapitaliste) obtient la majorité absolue au conseil municipal. A partir de là, les habitants commencent à se réapproprier leur village (en profitant pour rebaptiser les noms de rue : avenue de la liberté, rue Antonio Machado, place Salvador Allende… ) ainsi que leurs vies. C’est en 1980, suite à une grève de la faim et contre la faim de 13 jours, accomplie par quelques 700 habitants, que commence la lutte pour la terre autour du mot d’ordre révolutionnaire traditionnel : « la terre à celui qui la travaille ! »
Les habitants-ouvriers agricoles de Marinaleda visent particulièrement une terre en friche de 1200 hectares appartenant à un duc : après plusieurs années de lutte, une série d’occupations collectives (plus de 100), et maintes rebondissements judiciaires, la commune peut enfin disposer de la terre en 1991, et les ouvriers agricoles du village y travailler, dans le cadre d’une coopérative agricole, El Humoso, dont les travailleurs sont les propriétaires collectifs, et dont les bénéfices sont en totalité réinvestis dans la création d’emplois. Ainsi, en 1999 est créée la première industrie du village, une usine de conserve de légumes (poivrons, olives, fèves, artichauts) qui permet de créer de nombreux emplois, et d’atteindre un taux de chômage communal proche de zéro.
La particularité de ces différentes mobilisations et réalisations communales, au-delà de leurs succès certain ? Leur caractère collectif, leur fonctionnement démocratique. S’est construit, à partir de 1979, sous l’impulsion du maire Juan Manuel Sanchez Gordillo (qui est aussi élu au parlement de la région andalouse), un vrai projet politique commun, fondé sur la prise de décision systématique en assemblée.
L’ASSEMBLÉE DES HABITANTS, ORGANE DÉCISIONNEL SUPRÊME DE LA COMMUNE
« Il n’y pas de projet de gauche sans participation directe de la population, dès lors que nous ne voulons pas nous contenter d’aller voter une fois tous les quatre ans, mais participer chaque jour à toutes les décisions qui ont un impact sur nos vies (2) ».
De cette volonté commune se créèrent les assemblées, générale et de quartier, dans lesquelles les citoyens élaborent ensemble et approuvent directement le budget, les politiques publiques et les décisions municipales. L’assemblée générale est ouverte à tous les citoyens en âge de voter ; Elle est conçue comme un parlement ouvert où tout ce qui concerne la commune peut être abordé. C’est l’organe décisionnel suprême de la commune. S’y décident le montant des impôts, le budget de la municipalité, les questions économiques, les actions ou mobilisations à entreprendre, les règles que les habitants se donnent, l’attribution des nouvelles maisons construites, les actions et choix syndicaux… Les assemblées des habitants sont donc tout autant consacrées à la gestion des affaires courantes de la municipalité qu’aux questions liées à la production. Y participent entre 400 et 600 personnes, qui se réunissent 25 à 30 fois par an, et tous les jours en temps de mobilisation ou d’action collective ponctuelle spéciale.
Fait remarquable, les décisions au sein de l’assemblée ne se prennent pas à la majorité. Les débats et discussions continuent jusqu’à obtenir une décision recueillant le consentement du maximum d’habitants : « la majorité 50%+1 ne sert à rien. Pour une vraie démocratie, il faut au moins 80-90% d’adhérents à une idée« .(3)
C’est également l’assemblée qui élit les différents responsables exécutifs de la commune. Elle peut les révoquer à tout moment. Ils signent un contrat par lequel ils s’engagent à être les premiers investis à l’heure de la lutte et des sacrifices, et les derniers servis à l’heure des bénéfices. Ces « fonctionnaires » de la commune ne touchent aucune rémunération pour l’exercice de leur charge, et doivent donc travailler, comme tout le monde ; le maire, par exemple, est instituteur.
L’assemblée décide de la création de groupes d’actions, instances coordinatrices et exécutives consacrées à un sujet particulier : culture, fête, urbanisme, sport, écologie, paix… Ils agissent dans le cadre et selon les directives décidés par l’assemblée. Les groupes d’actions comprennent de 25 à 30 personnes, dont les conseillers municipaux et le comité exécutif du syndicat ; Toute personne ou association qui le souhaite peut y participer. Les propositions qu’ils élaborent sont ensuite présentées, discutées, le cas échéant modifiées, et approuvées ou (rejetées) par l’assemblée, notamment dans le cadre du vote du budget.
Concernant l’élaboration du budget, la présentation des comptes du budget précédent est détaillée et discutée dans chacune des assemblées de quartier. Les habitants du quartier discutent de ce qui leur parait bien et de ce qui leur parait mal et des rectifications qui devraient être faites, qu’elles concernent leur quartier, un autre, ou le village dans son ensemble. Toutes ces modifications, ainsi que les propositions des différents groupes d’action, sont ensuite discutées en assemblée générale, et le budget ainsi voté et approuvé.
Les assemblées de quartier se réunissent quant à elles, au besoin, quand apparaît un problème concret dans un quartier ou une rue : on y réfléchit sur le problème, essaie de trouver une solution, puis on vote. On y traite aussi de questions plus générales et de réflexions sur le village. Il est caractéristique et assez intéressant de constater qu’à Marinaleda, tout ayant été décidé et construit par les gens du village, il n’y a pas de vandalisme, ce qui explique que les habitants aient fini par décider, par souci d’économie, de se passer de toute police municipale !
LES ACCOMPLISSEMENTS DES VILLAGEOIS : BEAUCOUP DE TÊTES DONNENT BEAUCOUP D’IDÉES !
« (L)e conseil municipal et les assemblées générales, sans relâche, proposent, débattent et décident de nouveaux projets, de nouvelles constructions, de nouvelles améliorations et agrandissements des équipements existants. La quête du bien-être de l’ensemble des habitants est ici une lutte et une construction permanente. » (4) « Marinaleda est déjà riche en équipements collectifs : piscine, complexe sportif, garderie, bibliothèque, parc naturel, amphithéâtre pour spectacles, services à domicile pour personnes âgées etc. Tous ces équipements et ces services sont offerts gratuitement ou quasi-gratuitement à l’ensemble des habitants » (5). Ont été mis en route également un vaste programme d’autosuffisance énergétique par l’installation de capteurs solaires, et des jardins potagers sociaux pour les retraités qui le veulent. Une radio et une télé locales ont aussi étaient créées, une fresque en face des locaux indiquant : « Éteins la TV, allume ton cerveau » !
Les coopératives du village sont désormais au nombre de 8 et permettent d’avoisiner un taux de chômage proche de zéro. Mais il y a des contreparties, qui ont été décidées par l’assemblée, considérant que l’argent devait être un instrument de solidarité et de liberté et non un butin pour l’enrichissement de quelques uns : chaque travailleur touche le même salaire, quelque soit son poste ou sa qualification !
En ce qui concerne le logement, un programme original de maisons auto-construites a été mis en place. Les habitants désireux d’acquérir une maison s’engagent à construire ensemble, sur des terrains municipaux, les maisons (90 m²), aidés par un chef de chantier et un architecte payés par la mairie, et grâce à des matériaux fournis par la région andalouse. Ainsi, pour 15 euros par mois (à payer pendant plus d’une centaine d’année!), une famille peut avoir le bonheur de vivre dans une maison tout ce qu’il y a de plus respectable ! Par contre, si les descendants pourront bien hériter de la maison, l’on ne peut vendre sa maison, ceci afin d’éviter toute spéculation immobilière sur la commune (5).
La situation des habitants de Marinaleda – tout le monde à un travail, un salaire, un logement, une qualité de vie très appréciable, et son mot à dire dans la marche des choses – détonne dans une Espagne plongée dans la crise, le chômage et le surendettement des ménages. Ils ont d’ailleurs aux élections municipales et régionales de 2011 exprimé leur satisfaction : « le PSOE a perdu deux sièges sur les quatre qu’il possédait auparavant. Ainsi les représentants des ouvriers et des ouvrières agricoles menés par Juan Manuel Gordillo occupent désormais neuf sièges, au lieu de sept, sur onze que compte le conseil municipal de Marinaleda » (6) . Et même là-bas, l’approfondissement démocratique n’est pas perçu comme conquis une fois pour toute, mais plutôt comme un processus constant, quotidien : « la participation aux assemblées et aux tâches communautaires laisse parfois à désirer: «Une fois que le travail et le pain sont assurés, on est moins motivé à collaborer activement au processus», explique le maire, qui pourtant cumule lui-même plus de trente ans à la tête du mouvement » (7)
NOTES :
(1) : Propos du maire de Marinaleda, Juan Manuel Sanchez Gordillo, cités dans l’article de Silvia Grijalba publié initialement dans El Mundo et reproduit sous le titre « Marinaleda, un îlot d’anticaptalisme » dans l’hebomadaire du NPA Tout est à nous ! n°38 et disponible sur le site à l’adresse suivante : http://www.npa2009.org/content/marinaleda-un-%C3%AElot-d%E2%80%99anticapitalisme
(2) : extrait du site officiel de la municipalité : http://www.marinaleda.com/, traduction par l’auteur.
(3) : Propos de Juan Manuel Gordillo lors d’une conférence organisée à Marinaleda, cités dans l’excellent article d’Andrea Duffour « Marinaleda (Andalousie), un modèle d’autogestion unique en Europe », disponible à l’adresse :
http://alterautogestion.blogspot.com/2010/04/marinaleda-andalousie-un-modele-dauto.html
(4) : Extrait de l’article passionnant de Mohamed Belaali, « Nouvelles de Marinaleda », du 21 août 2011 et disponible sur le blog de Mohamed Belaali à l’adresse :
http://belaali.over-blog.com/article-nouvelles-de-marinaleda-82082007.html
(5) : voir pour plus d’information sur cette politique du logement les articles cités.
(6) : Extrait de l’article de Mohamed Belaali, « Nouvelles de Marinaleda », du 21 août 2011 et disponible sur le blog de Mohamed Belaali à l’adresse :
http://belaali.over-blog.com/article-nouvelles-de-marinaleda-82082007.html
(7) : Extrait de l’article de Christophe Koessler paru le 4 mai 2012 dans Le Courrier, intitulé « Marinaleda, l’utopie plus vraie que nature », disponible sur le site : http://www.lecourrier.ch/98289/marinaleda_l_utopie_plus_vraie_que_nature
PLUS D’INFORMATIONS SUR MARINALEDA
Le site officiel de la municipalité : http://www.marinaleda.com/
- Actualité de Marinaleda : voire l’excellent reportage vidéo/écrit du site Construire l’Utopie
- Le film de Sophie Bolze « Marinaleda un village en utopie », 2009, 82 mn, Production/Diffusion Tarmak Production. Pour projeter le film en public contacter : contact(at)tarmak-films.com
- A ré-écouter ou télécharger sur le site Là-Bas.org, le reportage de Daniel Mermet et Antoine Chao : www.la-bas.org/article.php3?id_article=2329
Les articles suivants :
- Andrea Duffour « Marinaleda (Andalousie), un modèle d’autogestion unique en Europe », disponible à l’adresse :
http://alterautogestion.blogspot.com/2010/04/marinaleda-andalousie-un-modele-dauto.html
- Mohamed Belaali, « Nouvelles de Marinaleda », du 21 août 2011, disponible sur le blog de Mohamed Belaali à l’adresse :
http://belaali.over-blog.com/article-nouvelles-de-marinaleda-82082007.html
- L’article de Silvia Grijalba publié initialement dans El Mundo et reproduit sous le titre « Marinaleda, un îlot d’anticaptalisme » dans l’hebomadaire du NPA Tout est à nous ! n°38 et disponible sur le site à l’adresse suivante : http://www.npa2009.org/content/marinaleda-un-%C3%AElot-d%E2%80%99anticapitalisme
- Christophe Koessler, « Marinaleda, l’utopie plus vraie que nature », paru le 4 mai 2012 dans Le Courrier et disponible sur le site : http://www.lecourrier.ch/98289/marinaleda_l_utopie_plus_vraie_que_nature
1 Commentaire
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