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« C’est l’organisme concerné même qui sait le mieux

quels sont ses besoins et qui peut y pourvoir au mieux »

Proverbe du Clan Igbo (Nigeria)

 

La vision du professeur ghanéen George Ayittey sur les causes des problèmes de l’Afrique et sur les solutions pour les régler (que les Africains puissent (re)décider enfin eux-mêmes!) devrait être mieux connue dans le monde francophone (aucun de ses livres n’est traduit en français!).

Cet article part du point de vue de George Ayittey dans son livre Indigenous African Institutions (1) (Les Institutions Africaines Originelles), pour ensuite aborder la manière dont nous, citoyens occidentaux, pouvons le plus efficacement aider une Afrique en proie depuis des dizaines d’années (et à un degré bien supérieur à celui que nous connaissons) à ce que nous ne découvrons réellement que maintenant en Europe de l’Ouest (Grèce, Espagne, Italie, France etc…) : l’imposition à des peuples entiers de décisions politiques et économiques cruciales par des experts économiques étrangers et non élus (FMI, Agences de notations, « marchés »), « pour permettre de lutter contre la dette publique et pour la meilleure santé de l’économie ».

 

L’AFRIQUE : un continent arriéré, non entré dans l’histoire, à civiliser ou un continent à l’histoire riche, aux institutions hautement démocratiques mais faible militairement à exploiter sans vergogne ?

George Ayittey recense dans cet ouvrage différentes cultures et systèmes politiques présents sur le continent Africain avant les colonisations, et dont certains traits ont perduré jusqu’à aujourd’hui. Des systèmes politiques, pour beaucoup d’entre eux, hautement démocratiques, que les puissances coloniales – et les dictatures ensuite ou maintenant, sous le regard bienveillant des pays et entreprises riches via notamment le Fonds Monétaire International (FMI) – ont évidemment combattus et détruits… tout en disant et faisant croire à leurs compatriotes occidentaux (déplorant ces activités guerrières lointaines et ruineuses) qu’ils y apportaient la civilisation et le bonheur, que ces pays « sauvages » n’avaient pas d’histoire et que leurs habitants étaient des bons à rien.

Bien que les premiers visiteurs européens furent marqués par le caractère extrêmement démocratique de certaines sociétés africaines, les journaux, la littérature et les programmes scolaires en Europe se sont chargés de relayer les propos de « savants », hommes politiques soi-disant de gauche et entreprises capitalistes avides de tirer profit des énormes ressources minérales et humaines d’un continent que la ruse (signature de traités bidons ou soutirés par la force par lesquels les populations locales abandonnaient « juridiquement » leur souveraineté et leurs droits sur leurs terres au profit du pays que du négociateur européen) et surtout la guerre (et l’esclavage) leur avait permis de s’accaparer.

Malheureusement, après les indépendances, les dictatures, systématiquement maintenues au pouvoir par les gouvernements du Nord, continuèrent de détruire les institutions traditionnelles démocratiques et mirent en place des constitutions de papier (copiées mot pour mot des constitutions française, anglaise ou même américaine) qui permirent aux pillage matériel (pétrole, or, uranium etc…) et humain (main-d’œuvre à bas prix) du continent de se poursuivre, sous couvert de « Constitution démocratique ».

« Honteusement ignorants de leur propre héritage culturel, de nombreux leaders Africains utilisèrent « la tradition Africaine » pour justifier l’imposition à leur peuple de toutes sortes de systèmes abjects : Marxisme, parti unique, et gouvernement militaire. Il est vrai que le chef Africain était au pouvoir à vie. Mais il était nommé; il ne se nommait pas tout seul. Il y a là une différence fondamentale. Le chef Africain n’imposait pas non plus un parti unique à son village, ni n’imposait à ses gens des idéologies étrangères, ni n’interdisait les oppositions. Aux assemblées de village, les habitants pouvaient exprimer leurs points de vue librement sans crainte d’être arrêté ou détenu. Le respect de la loi (ou tradition) était impératif dans la plupart des sociétés Africaines. Et aucun roi ou chef Africain traditionnel ne pouvait par lui-même édicter un décret et l’imposer à son peuple. Ces chefs et rois étaient entourés de Conseils, sans le consentement desquels aucune loi ne pouvait être adoptée. De plus, les lois devaient être ratifiées par une assemblée de village composée des gens ordinaires. » (2)

« Il y a quelques 2000 ethnies en Afrique, et pas moins de 200 au Zaïre seulement. En conséquence, les structures politiques et autres institutions traditionnelles sont nécessairement diverses, et l’idée même de les étudier intimidante. Mais ce qui est incroyable, ce sont les remarquables similarités entre elles. Les principales croyances, institutions politiques, légales et économiques sont de manière frappante structurellement semblables sur la plus grande part du continent » (3).

Il y avait quatre catégories principales d’organisations politiques en Afrique : sociétés sans-État, chefferies, royaumes et empires. Le chapitre 3 (dont nous ferons dans un prochain article un compte-rendu) du livre de Ayittey aborde la question du gouvernement dans les sociétés sans-État et dans les chefferies, et analyse les traditions Africaines de démocratie participative, de gouvernement par consensus, du rôle des leaders et des chefs et de comment ils étaient choisis et révoqués. Quant aux empires Africains, qui regroupaient – comme les États Africains aujourd’hui – une pluralité de communautés ou ethnies, il est très intéressant de constater que la confédération et la fédération étaient leur forme de gouvernement la plus commune. « Ce fait, souligne Ayittey, semblerait suggérer que la forme unitaire de gouvernement, caractérisée par une autorité centralisée forte n’est pas adaptée à l’Afrique » (4).

Depuis les indépendances jusqu’à aujourd’hui, les États riches (Angleterre, France, États-Unis etc…) via notamment, à l’heure actuelle, les institutions internationales comme le FMI ou la Banque mondiale ont constamment été les décideurs en matière politique en Afrique (rappelons qu’au FMI, par exemple, le droit de vote est proportion de la puissance économique du pays, et que les États-Unis, par exemple, disposent donc d’un droit de veto sur toutes les décisions importantes). Les grandes décisions politiques et économiques sont pour la plupart prises par des européens ou des américains, des « experts », soit disant pour aider les pays africains à mieux se porter, en fait souvent (et parfois, malgré eux, ou presque malgré eux) pour permettre entre autres l’exploitation maximum par les puissances économiques du Nord (États ou entreprises) des ressources minérales cruciales à la poursuite du « modèle occidental’ de société ou l’installation de bases militaires.

 

« Pour qu’une réforme politique soit utile et pérenne,

elle doit être basée sur et enracinée dans les principes institutionnels locaux »

John Mensah Sarbah (1864 – 1910) , philosophe ghanéen (5)

 

On peut donc être révolté qu’il soit de bon ton dans les médias ou la communauté « scientifique » de « déplorer que les Africains sont incapables de construire des démocraties », alors que l’on maintient grâce à son aide militaire (et donc les impôts français, par exemple) un tyran qui vole tout l’argent de son peuple (et qui finance les campagnes électorales de nos grands hommes politiques) et qui, grâce à la liberté de circulation de la monnaie imposée par le FMI ou la France ou l’Europe (via les traités internationaux économiques) comme loi nationale, envoie allègrement sur des comptes bancaires en suisse ou ailleurs les milliards volés à son peuple ou volés de l’aide internationale, et achète des propriétés fastueuses en France ou ailleurs.

 

« Comment aider l’Afrique » tout en nous aidant nous-mêmes : lui permettre de recouvrer son indépendance politique, en faisant pression sur nos gouvernements occidentaux

N.B : De telles actions de la part des citoyens du Nord ne sont pas utopiques ! Que l’on se souvienne par exemple de l’initiative Jubilé 2000 qui permit d’annuler une partie de la dette de certains pays africains.

Les téléspectateurs européens se demandent souvent : « Comment pourrait-on aider l’Afrique ? ». Quand nous n’ignorons pas délibérément ce qu’il s’y passe pour nous protéger psychologiquement, nous soulageons à peu de frais nos consciences en effectuant des dons à telle ou telle association du Nord d’aide à l’Afrique. Or, la grande majorité de l’aide au développement finit dans les poches d’une poignée d’acteurs européens et africains, via notamment les nombreux emplois et les confortables salaires, les contrats juteux et les expertises en tout genre. En 1989, au total, nous apprend le professeur Ayittey, 80 000 experts et consultants (dont seulement 0,5 % étaient nés en Afrique) étaient expatriés en Afrique pour la Banque mondiale seulement, coûtant aux gouvernements africains entre 1 et 4 milliards de $.

Le meilleur moyen que nous avons à disposition pour « aider l’Afrique » est d‘arrêter définitivement de soutenir le pillage du continent par nos entreprises multinationales et par notre (nos impôts, à tous) soutien financier et militaire, par le biais de nos dirigeants, à des dirigeants tyranniques garantissant le maintien de cette domination économique et politique datant de la colonisation.

La meilleure chose que nous ayons à faire, c’est de ne plus permettre que nous, la France, soyons signataires et appliquions jour après jour des traités internationaux avec l’Afrique iniques (Accord commercial international de Cotonou, Traité international sur le Franc CFA, règles de l’Organisation Mondiale du Commerce, etc…) qui garantissant la domination et l’appauvrissement du continent, par le pillage de ses élites et des puissances économiques du Nord.

Ainsi, nous apprend George Ayittey, en 1990 (et malheureusement ce type d’injustices s’est majoritairement perpétué jusqu’à nos jours) les États Africains ont envoyé 32 milliards de $ à l’étranger (dont 12 milliards pour des importations d’armes), une somme qui leur aurait suffi à rembourser la totalité de la dette étrangère qui les asservit.

La meilleure chose que nous ayons à faire, c’est de ne pas permettre que l’argent volé aux peuples africains par ses dictateurs ne finisse en France dans les poches de nos plus grands politiciens, pour permettre de financer leurs campagnes électorales (une tradition en France, par exemple).

La meilleure chose que nous ayons à faire, c’est de nous opposer, nous, la France, au sein du FMI, de la Banque mondiale ou de l’OMC, à l’imposition par quelques experts du nord des lois économiques principales en Afrique, comme par exemple l’obligation d’abolir les contrôles en matière de transactions financières (un grand classique du libéralisme), qui fait que chaque année (chiffres de 1991), ce sont quelques 15 milliards de $ qui sont envoyés sur des comptes bancaires à l’étranger par les élites africaines.

Si même les pays européens (qu’on pense à la Grèce, à l’Espagne, à l’Italie…) ne peuvent résister aux ordres d’experts (par exemple de Standard and poor’s ou de la commission européenne) leur imposant, grâce à la menace de la dette et des intérêts de la dette, des ordres en matière des décisions politiques et sociales les plus importantes (par exemple, réduire l’âge légal de la retraite, supprimer les CDI, vendre d’immenses parties de son territoire au plus offrant…), que l’on pense à ce qu’il en est – et ce qu’il en a été – en Afrique où les mêmes ont beaucoup moins de scrupules et des objectifs plus impérieux (accaparement des ressources minières, des terres, exploitation des travailleurs, déversement des déchets toxiques du nord, débouché pour les marchandises du nord, grenier alimentaire de l’Europe (café, chocolat, huile de palme…) !!!) .

Là-bas, la dictature de la dette et des créanciers, ce phénomène d’esclavage politique existe, tel quel et en bien pire, depuis les années 60. Et nous, peuples français, sommes malheureusement et malgré nous directement impliqués dans ces ordres qui ont été le fait et émanent de nos gouvernements via les instances internationales, comme le FMI ou la Banque mondiale, ou les négociations économiques internationales des traités de commerce ou d’aide militaire.

 

NOTES :

(1) George B.N. Ayittey, Indigenous African Institutions, Transnational Publishers, Ardsley-on-Hudson, New York, 1991

(2) Ibid, p. xxxv et xxxvi

(3) Ibid, p. xliv

(4) Ibid, p. xlv

(5) Ibid, p.xiii