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- Dans le monde qui est le nôtre, n’est-il pas illusoire de penser que l’avènement d’une multiplicité de petites démocraties directes locales puisse changer quoi que ce soit à l’ordre des choses et permettre de réels changements ?

- Comment de telles démocraties directes locales pourraient-elles avoir le moindre effet concret sur nos vies de tous les jours, à l’heure où la totalité des décisions politiques importantes émanent de l’Etat, et même de plus en plus d’accords ou d’institutions internationales non élues (Europe, traités de commerce, OMC, etc.) ?

- Comment le citoyen lambda peut-il aujourd’hui espérer avoir une influence sur les décisions prises par ses représentants, son gouvernement ou les institutions européennes ?

A l’aune des expériences de « grande politique » (lutte contre les OGM, les attaques du gouvernement américain contre les libertés individuelles, ou contre la guerre en Irak, etc.) des town meetingsgouvernements municipaux par le biais d’assemblées locales d’habitants ouvertes à tous pour décider ensemble des affaires communes – de la Nouvelle-Angleterre aux Etats-Unis, Ben Grosscup, qui y a pris activement part et est un fin connaisseur des town meetings et des mouvements citoyens américains de base, répond longuement à ces questions. Ses constats sont passionnants pour quiconque (associations, individus, partis politiques, etc..) n’a pas totalement perdu espoir quant à la possibilité de changer un peu l’ordre actuel des choses, petites et grandes.

 

Cet article de Ben Grosscup, intitulé « Town Meeting Advocacy » est tiré de l’excellent site d’information (malheureusement uniquement en anglais) New Compass et est disponible à l’adresse http://new-compass.net/articles/town-meeting-advocacy

Il a été publié le 3 avril 2011 et traduit en français par nos soins.

 

La « grande politique » des Town Meetings

Par

Ben Grosscup

03.04.2011

 

De la même manière qu’il y a une différence entre des efforts visant uniquement à reformer la société et des efforts dont le but est une transformation révolutionnaire, il y a également une différence entre dénoncer les abus de l’ordre social actuel et bâtir le pouvoir politique des gens ordinaires pour déraciner les pilliers de cet ordre social.

Le but des communalistes n’est pas seulement de « donner voix » aux gens marginalisés, aux idées et alternatives politiques, mais aussi de construire des institutions politiques qui donnent directement aux gens le pouvoir de définir et d’adopter les politiques guidant leurs problèmes communs de la vie de tous les jours.

A la recherche de solutions pour construire ce type de politique, j’ai consacré des efforts substantiels à une pluralité de campagnes que j’appelle communément « la grande politique des town meetings (ndrl : assemblées municipales ouvertes à tous) ». Une campagne de « grande politique des town meetings » est une campagne par laquelle un groupe engagé de citoyens dans une ville (ou un village) utilise le processus du town meeting pour faire voter par les citoyens une déclaration politique (non contraignante), appelée résolution, sur un sujet politique important et controversé. Cette forme d’activisme est liée à une forme de gouvernement local qui n’existe que dans certaines parties des Etats-Unis. Toutefois, examiner les potentialités et les limites de « la grande politique des town meetings » peut aider et inspirer les efforts actuels des communalistes de par le monde pour enraciner notre lutte politique dans les institutions municipales.

 

Les Town Meetings de la Nouvelle-Angleterre

La « grande politique des town meetings » se déroule dans le cadre du gouvernement de town meeting, qui reste la structure municipale de gouvernance officielle dans un grand nombre de municipalités de la Nouvelle-Angleterre – surtout dans le Vermont, le Massachusetts et le New Hampsire [ndrl : 3 des 50 Etats américains]. Dans le Massachusetts, il y a 302 municipalités gouvernées par town meeting and dans le Vermont, 246. Le Town Meeting est une forme de gouvernement en face-à-face qui est potentiellement plus ouverte à la participation publique que les corps représentatifs des Etats ou de l’Etat fédéral et que les conseils municipaux, qui, comme dans le reste des Etats-Unis, restent la structure de gouvernance typique pour les grandes villes en Nouvelle-Angleterre. Les origines historiques du town meeting proviennent des formes d’auto-gouvernement mises en place par les premiers colons puritains en Nouvelle-Angleterre avant la Révolution américaine. (1)

De nombreuses communautés en Nouvelle-Angleterre ont une tradition de town meeting, qui remonte à la Révolution américaine. Ces dernières années, des activistes ont mis à l’ordre du jour de leurs town meetings de nombreux sujets politiques d’envergure, tels que l’énergie nucléaire, les politiques climatiques, la protection des libertés, les guerres initiées par les Etats-Unis ou encore les OGM. Quelles ont été les forces et les faiblesses de cette stratégie ? Et quels enseignements les communalistes du monde entier peuvent-ils tirer de cette forme d’organisation locale ?

Des restes de ces pratiques politiques remarquables de démocratie directe qui avaient cours dans ces communes américaines à l’époque subsistent – mais dans une forme atténuée – dans de nombreuses villes et villages de Nouvelle-Angleterre aujourd’hui. Dans la plupart des communes gouvernées par town meeting, quiconque inscrit sur les listes électorales peut toujours participer librement au town meeting, y prendre la parole sur tout sujet qui figure à l’ordre du jour de l’assemblée (appelé le « warrant’), et faire des propositions (appelées « articles ») soumises au débat et au vote. Les procédures pour faire cela sont souvent relativement simples. En fonction des réglements propres à chaque commune, inscrire une proposition à l’ordre du jour est souvent aussi simple que de rassembler un certain nombre de signatures pour une pétition. Une fois qu’un groupe se forme dans l’intention de soumettre aux habitants une proposition de résolution, le vote positif de l’assemblée peut être obtenu de manière relativement facile, du moment que les sentiments politiques dans la commune sont favorables aux buts des pétitionnaires.

L’utilisation des town meeting pour prendre position commune sur des sujets politiques controversés remonte aux temps pré-révolutionnaires. (2) Dans les années 1980, le mouvement anti-nucléaire Freeze Campaign s’est servi de la « grande politique des town meeting » pour promouvoir son objectif de mettre fin aux armes nucléaires. Au début des années 2000, il y a eu dans certaines parties de la Nouvelle-Angleterre une renaissance de la stratégie de « grande politique des town meetings » pour mobiliser les oppositions aux semences génétiquement modifiées, aux attaques du gouvernement américain contre les droits et libertés des citoyens, (3) à l’occupation militaire de l’Irak, à l’inaction du gouvernement américain en matière de crise climatique, et à la poursuite de l’activité des centrales nucléaires.

 

Faire campagne contre les OGM

Ma propre expérience de participation à ces campagnes m’a notamment amené à travailler avec deux associations différentes qui cherchent à faire prendre conscience aux gens des dangers des semences génétiquement modifiées de manière à construire un mouvement d’opposition à leur persistante utilisation et prolifération. Les OGM constituent une menace écologique notamment parce qu’ils sont créés dans le but de pouvoir augmenter la quantité et la puissance de pesticides toxiques en agriculture. Le trait le plus commun aux OGM commercialisés est la résistance à l’herbicide glyphosate, ce qui fait des graines OGM et des pesticides les deux faces d’une même pièce. Une multiplicité d’études ont montré la toxicité de nombreuses semences OGM, et beaucoup d’études démontrant le contraire ont été délégitimées pour cause de méthodologie erronée ou de biais idéologique dû à leur financement par les entreprises de biotechnologie. (4)

En outre, l’état de la science actuel suggère fortement que la méthode de l’ingénierie génétique en elle-même perturbe la fonction génétique des plantes. (5) La distribution globale de ces graines entraîne de sérieuses menaces pour l’intégrité génétique des organismes vivants ainsi que pour la santé des êtres humains et des animaux. La question des OGM pose aussi la question de la menace juridique et politique des conglomérats multinationaux vendeurs de semences, comme Monsanto, qui disposent de brevets industriels sur des êtres vivants leur permettant de poursuivre en justice – jusqu’à les pousser à la faillite – les fermiers qui font ce que les agriculteurs ont toujours fait depuis la nuit des temps, replanter leurs propres graines. (6) Ces procès ont joué un rôle énorme dans l’expansion du pouvoir de ces entreprises aux dépens des fermes familiales indépendantes.

En tant que membre de l’Institut pour l’Ecologie Sociale [Institute for Social Ecology] du Vermont, j’ai travaillé avec des activistes locaux dans plusieurs villes et villages en 2002 et 2003 pour les aider à faire adopter par leurs town meetings des résolutions contre l’ingéniérie génétique agricole – nous l’avons appelé la « Campagne de Commune à Commune sur l’ingéniérie génétique » [The Town to Town Campaign on Genetic Engineering]. Les propositions de résolutions par les Town Meetings incluaient : 1) L’obligation de mettre une étiquette indiquant OGM pour tous les inudstriels; 2) Protection stricte de la responsabilité pour renforcer les droits des fermiers dans leurs relations avec les entreprises de biotechnologie; 3) et un moratoire sur la poursuite des champs OGM jusqu’à ce qu’une évidence scientifique prouvent qu’ils ne sont pas dangereux, et que l’on puisse démontrer qu’elles sont inoffensives pour les fermes de familles.

En Janvier 2006, J’ai commencé à travailler comme un des organisateurs pour l’Association des Fermiers Biologiques [Organic Farming Association] au Massachusetts, qui avait décidé d’adopter le modéle d’organisation en vigueur dans le Vermont où en 2005, 85 villes et villages avaient passé des résolutions contre l’ingéniérie génétique. Durant deux années consécutives (2006 et 2007), j’ai aidé les activistes concernés par les OGM à s’organiser pour prendre parole publiquement en faveur des résolutions anti-OGM dans leurs town meetings respectifs. Pendant ces deux années, j’ai travaillé avec des personnes de 18 ville ou village différentes – surtout dans l’Ouest du Massachusetts – qui ont réussi à faire passer des résolutions contre les OGM, portant le nombre des municipalités du Massachusetts qui ont pris de telles mesures à 30. (7)

 

Aspirations démocratiques dans une société non démocratique

Donc, quels sont les potentialités et les limites de cette stratégie d’organisation ? Je crois que l’on peut commencer à le comprendre à la lumière de la tension – inhérente aux campagnes de « grande politique des town meetings » – entre aspiration et réalité. D’un côté, les activistes engagés là-dedans célèbrent les résolutions passées par les town meetings comme des expressions de démocratie participative, mais, d’un autre côté, les town meetings ont des pouvoirs extrêmement limités sur les sujets d’importance pour la vie de tous les jours des habitants de cette région des Etats-Unis.

Sur le premier volet – celui de l’aspiration – le gouvernement du town meeting est une sphère de discours public relativement accessible où il est possible de débattre, de voter et de prendre des actes en commun sur des sujets d’importance locale et internationale, à travers un processus participatif. Bien que les town meetings aient relativement peu de pouvoir et des compétences étroites, au mieux, les résolutions non-contraignantes permettent une forme de discours et d’éducation qui est unique pour une institution publique au pouvoir. Plus important, ce type d’action politique met en avant les volets civiques et humanistesd’une citoyenneté démocratique. L’un des facteurs culturels qui nourrit ce moment d’aspiration démocratique est que de nombreuses personnes à travers la Nouvelle-Angleterre voient toujours le town meeting comme le lieu de la pratique démocratique des gens ordinaires. Malgré les pouvoirs limités des town meeting et leur souvent faible degré de participation, la « grande politique des town meetings » a donné à la fois de l’autorité morale et une légitimité institutionnelle à une opposition publique, du fait que les gens de manière générale estiment le lieu d’où elle a été formulée.

Sur le second volet – celui des réalités de notre société non démocratique – la « grande politique des town meetings » peut aussi être vue comme une conclusion mortelle pour un agenda radical. Qu’un town meeting prenne une résolution est considéré, avec justifications, comme institutionnellement sans effets dans la réalité du processus de prise de décision en ce qui concerne les sujets cruciaux comme la guerre, les droits et libertés du citoyen, la sécurité alimentaire ou la politique énergétique ou agricole. Et de fait, la relative aisance avec laquelle les town meetings peuvent exprimer leurs opinions sur ces sujets n’a d’égale que l’aisance avec laquelle ces mesures peuvent être ignorées par l’Etat et les entreprises, où le pouvoir dans ses formes actuelles – et pas seulement dans ses formes potentielles – réside largement.

En tant qu’institutions de gouvernement, les town meeting fondamentalement administrent pour le compte de l’Etat centralisé les politiques en matière d’impôts, d’éducation, d’utilisation des terres, ou d’infrastructures. La domination politique de la municipalité par l’Etat contraint toute décision de la municipalité à n’être virtuellement – et ce quelque soient les propositions que les citoyens locaux mettent à l’ordre du jour des town meeting – que l’expression locale des politiques de l’Etat central. Par exemple, un argument, que j’ai souvent entendu, contre les résolutions non-contraignantes par les town meeting est qu’elles distraient l’institution des obligations immédiates (et souvent de pure forme) que la loi lui impose.

Voilà aussi pourquoi la « grande politique des town meetings » a lieu à la périphérie du town meeting lui-même. Au moins dans l’histoire récente – les campagnes de »grande politique des town meetings » ont quasiment toutes été initiées par des organisations du mouvement social, plutôt que par les nombreuses commissions et bureaux de gouvernement des différents town meeting, qui sont plutôt focalisés à impulser des propositions sur le zonage urbain ou les budgets. Bien que la structure du town meeting permette des actions de « grande politique » nées en interne, arriver à faire qu’à une grande échelle les gens s’engagent dans leur town meeting sur des sujets spécifiques d’importance exige une coordination et un soutien que seule une organisation ou une coalition de dimension nationale peut fournir. Une des raisons à cela est que le soutien pour prendre position sur des sujets qui touchent à l’Etat où aux grandes entreprises – ou qui simplement traitent de sujets controversés dépassant la stricte politique locale – manque particulièrement dans la plupart des gouvernements locaux, du fait qu’ils ne sont pas des entités indépendantes. Une autre raison est que les mobilisations organisées à l’échelle d’un Etat sont peut-être le seul moyen disponible pour obtenir du soutien des citoyens pour des actions politiques. Le besoin d’un tel appui organisationnel à l’échelle de l’Etat, en ce qui concerne des problèmes qui concernent pourtant tout le monde, est un signe que les résolutions des town meetings expriment en fait plus les buts politiques de ces organisations que la volonté autonome du town meeting lui-même.

La tension entre l’aspiration et la réalité est aussi une source de confusion et de conflit parmi les personnes impliquées dans les campagne de « grande politique des town meetings ». Le but originel de ces campagnes est normalement de pétitionner les gouvernements étatique et fédéral avec des revendications politiques symboliques, comme cela a été le cas des deux campagnes contre les OGM dans le Vermont et le Massachusetts. Or, de nombreux activistes faillirent à distinguer entre le fait de dénoncer les OGM et le fait de faire quelque chose pour remédier à l’impuissance des town meetings pour stopper la prolifération des semences génétiquement modifiées. Ce qui m’a impressionné, par exemple, est combien fréquemment les nouveaux et inexpérimentés participants aux campagnes de « grande politique des town mmetings » étaient convaincus au début qu’ils faisaient campagne pour interdire tout de go la culture d’OGM dans la commune. J’ai pris cette croyance répandue comme un signe encourageant montrant que les gens qui comprennaient les menaces posées par les OGM étaient à la recherche d’actions concrètes pour y mettre fin. Paradoxalement, les campagnes n’étaient pas préparées à formuler des revendications vidant à donner aux town meetings des pouvoirs législatifs en de telles matières. Par dessus le marché, la majorité des organisations anti-OGM n’étaient pas désireuses de formuler de telles revendications, convaincues que l’Etat était l’acteur approprié pour contenir la menace des semences génétiquement modifiées. A l’inverse, pour ceux d’entre nous qui étions connectés avec l’Institut pour l’Ecologie Sociale, l’Etat n’était pas seulement le captif des industries de biotechnologie, mais également le principal promotteur de l’ère biotechnologique moderne. (8) Nous essayions d’ouvrir la possibilité de pousser à des interdictions locales des OGM sur le principe que nous ne pouvions attendre que l’Etat le fasse pour nous, mais nous dument reconnaître que la plupart des communautés avec lesquelles nous travaillions n’étaient politiquement pas préparés à appliquer et défendre une telle décision locale.

Tout comme les nouvelles recrues des campagnes de « grande politique des town meetings » contre les OGM, de nombreux opposants aux résolutions supposaient de manière incorrecte que les activistes promouvaient une interdiction réelle locale des semences génétiquement modifiées. Une indication que notre rêve de zones sans-OGM à travers toute la région devrait faire face à une opposition acharnée fut quand les alliés des anti-OGM se mirent à diffuser des messages désapprobateurs quant à l’action des opposants locaux, en arguant qu’une résolution locale n’équivaudrait seulement qu’à une requête auprès des représentants élus et n’aurait aucun impact concret pour les fermiers. Ce refus de mes propres alliés de prendre des risques en utilisant le pouvoir, si maigre soit-il, dont ils disposaient était motivé par leur présupposé selon lequel le processus législatif étatique est le seul moyen légitime et efficace de faire changer les choses en matière d’OGM. Au lieu d’agir pour créer dès maintenant le monde dans lequel nous voulons vivre, nous nous contentions de la formulation de requêtes auprès de distant supérieurs pour qu’ils le fassent pour nous.

 

Limites des pétitions à l’attention de l’État

Pour que certaines choses changent, les mouvements sociaux de base et leurs organisations formulent régulièrement des requêtes et pétitionnent auprès des niveaux de gouvernement plus hauts – et de plus en plus hors de portée – comme l’Etat ou le gouvernement fédéral. La stratégie autour de laquelle les individus au sein de ces mouvements bâtissent leurs efforts implique la croyance selon laquelle l’Etat est sensible à de telles pétitions – qu’eux, en tant qu’individus, y croient ou pas d’ailleurs. Une des leçons que les organisateurs enseignent aux autres activistes dans les campagnes « de grande politique des town meetings », dans la mesure où ils concentrent leurs efforts au pétitionnement, c’est que bien que l’Etat ne fasse pas son travail sur certains sujets les pressions peuvent l’amener à reformer ses politiques. La leçon cruciale qui fait souvent défaut lors de ce processus d’organisation est qu’il y a des raisons politiques, économiques et idéologiques profondément ancrées qui font que l’Etat ne répond pas aux besoins des gens – et qui font qu’une action politique des citoyens indépendamment de l’Etat est indispensable pour pouvoir traiter les problèmes communs.

En se contentant de demander le changement auprès de plus « hauts » niveaux de gouvernement, « là où les décisions se prennent réellement », les activistes s’évitent des conflits importants et contentieux sur qui prend les décisions et qui ne les prend pas. Un gouvernement représentatif, au mieux, promet de prendre en considération les désirs des gens au moment où les candidats planifient leurs prochaines campagnes électorales, mais le système ne promet jamais qu’il va donner du pouvoir aux gens pour qu’ils puissent avoir directement leur mot à dire sur les politiques à mettre en oeuvre. A dire à des opposants OGM qu’ils ne devraient pas proposer une résolution à leur town meeting car la résolution en question n’aurait de toute façon aucun impact concret sur personne, l’on devient complice du maintien de l’impuissance politique à laquelle nous nous sommes si tristement habitués.

Bien que l’Institut pour l’Ecologie Sociale ait galvanisé la coalition qui portait la campagne de Commune à Commune [The Town to Town Campaign] dans le Vermont en 2002 et 2003, c’était la seule organisation de la coalition à avancer publiquement que les résolutions des town meetings pouvaient signifier quelque chose de plus qu’une simple requête auprès des pouvoirs étatiques. D’autres membres de la coalition – les associations de défense de l’environnement et des consommateurs, ou celles de défense des droits des petits fermiers – voyaient essentiellement ces efforts comme un moyen de pétionner le pouvoir législatif de l’Etat du Vermont. Ils participèrent à la campagne des town meetings dans la mesure uniquement où ils la voyaient comme conduisant à une loi de l’Etat du Vermont régulant les semences génétiquement modifiées. Dès lors, il n’est pas surprenant que les organisateurs, qui avaient cette position, donnèrent, une fois le débat au niveau du pouvoir législatif étaitique ouvert grâce à la campagne, priorité à l’action auprès du pouvoir législatif et au lobbying au détriment de l’organisation de la base.

La démarche consistant à pétionner les niveaux plus hauts de gouvernement a conduit à certains succès partiels. Dans le Vermont, la « grande politique des town meetings » a renforcé la position des membres de la coalition qui travaillaient à la mise en place de changements législatifs à l’échelle de l’Etat. C’est en grande partie grâce aux 85 villes et villages du Vermont qui avaient passé des résolutions contre l’ingéniérie génétique qu’en mai 2006, la Chambre des députés et le Sénat du Vermont votèrent une loi sans précédent permettant aux fermiers de poursuivre en justice les créateurs les fabricants d’OGM pour dommages individuels. Les supporters de cette loi (dont j’étais) chercher à mettre en place des protections légales pour les fermiers contre les entreprises comme Monsanto qui avaient poursuivis des fermiers en justice en plusieurs endroits de l’Etat pour non-respect du droit de propriété intellectuelle au moment quand les techniciens de l’entreprise se rendaient inspecter les champs des fermiers qui n’avaient pas payé les frais de licence. Nous avons également chercher à intégrer à la loi un système de protection économique des fermiers, bio ou non, qui n’utilisaient pas d’OGM. Les fermiers qui dans le Vermont cultivaient des OGM se rendirent en grand nombre devant la chambre des députés du Vermont au moment des votes des points clés de la loi pour exprimer leur opposition à la loi. Ils dirent que Monsanto leur avait dit que, si la loi était votée, Monsanto arrêteraient de leur vendre des graines OGM. Finalement, le gouverneur du Vermont mit son veto à la loi. Alors, se retrouvant sans stratégie législative crédible, la coalition, qui s’était formée quatre ans auparavant autour de cette campagne, s’évanouit, laissant les activistes se joindrent à d’autres cause.

En un sens, en pétitionnant, en tant qu’institutions locales, les plus hauts niveaux de gouvernement, les town meetings du Vermont impulsèrent un débat et une action législative qui n’auraient pas eu lieu sinon. Et puis, les gouvernements des town meetings locaux se transformèrent, au moins pour un bref moment, en lieux – très vivant – où l’on discutait des questions importantes qui d’habitude auraient été perçues comme au-delà du champ de compétence politique du town meeting. L’expérience a été d’une grande valeur en termes éducatifs – à la fois sur le sujet spécifique des OGM et sur la fonction de gouvernement local. Dans un autre sens, les choix de la majorité des membres de la coalition de la Campagne de Commune à Commune d’utiliser la « grande politique des town meetings » essentiellement comme un moyen de renforcer des stratégies limitées au pétitionnement de l’Etat n’a pas aidé à la bonne santé du mouvement : Quand l’effort législatif s’écroula, la question de la suite du processus d’organisation, comment agir de manière indépendante pour atteindre leur but, n’avait pas été abordée.

Quand les town meetings s’engagent dans le pétionnement de plus hauts niveaux de gouvernement, ils prennent la fonction d’intermédiaires entre les gens et leurs supposés représentants politiques – une fonction qui est tout aussi bien remplie par les innombrables sites internet et autres mailing-list consacrées à l’information des représentants. Et de fait, dans la mesure où les initiateurs voyaient les résolutions uniquement comme moyen de pétitionner l’Etat, un argument raisonnable, formulé par les critiques locales des campagnes de résolutions, consistait à dire que dès lors que les town meetings étaient capables de gérer leurs étroites compétences de manière hautement démocratique, ils ne devraient pas avoir à traiter de sujets dépassant ce champ de compétence, le pétitionnement pouvant tout aussi bien être réalisé par d’autres moyens.

En dépit des limites intrinsèques des résolutions et de l’apparente rationalité de certaines objections procédurales envers elles, il y a une différence substantielle entre une simple lettre et une résolution d’un town meeting, différence qui, je le pense, rend cette dernière nécessaire. Une lettre n’exprime seulement que le sentiment de particuliers, quant une résolution implique, elle, les délibérations et débats de tous les participants du town meeting. Les Town meetings constituent, dans les communautés où ils se pratiquent, une sphère publique qui ne se réduit pas simplement aux intérêts particuliers – économiques, sociaux ou politiques – ayant une influence dans une communauté. Leurs résolutions sont qualitativement différentes, par exemple, de celles d’une association de lutte centrée sur un sujet particulier, car elles ont été adoptées à travers un processus public auquel tout citoyen inscrit sur les listes électorales a le droit de participer. Face aux critiques sur le fait que ces campagnes « de grande politique des town meetings » mettent à l’ordre du jour des assemblées des questions qui ne sont que périphériques à leurs comprétences juridiques, la meilleure réponse doit commencer par établir un constat quant aux limites de la stratégie actuelle. L’étape suivante est de parler de transformer la stratégie de manière à ce qu’elle intégre l’objectif d’augmenter le pouvoir et la compétence juridique des autorités municipales, afin que ces résolutions de « grande politique des town meetings » symboliques aient une chance de se concrétiser en des politiques réelles.

Quand l’Etat se montre si irresponsable et fait la sourde oreille aux demandes populaires, nous avons raison de répondre en faveur de la cause qui est la nôtre, et nous avons raison de souligner le besoin d’agir selon tout moyen en accord avec nos principes. Mais si la stratégie de ceux qui s’impliquent dans la vie politique locale se limite à faire en sorte que de plus en plus de town meetings débattent et prennent des résolutions de « grande politique » sur des sujets spécifiques, nous aurons perdu une opportunité d’ouvrir de nouveaux espaces permettant aux potentialités radicales des town meetings de se rélaiser. Nous devons trouver les chemins vers la prochaine étape logique : ouvrir les institutions gouvernementales municipales de manière à permettre de nouveaux modes d’action politique grâce auxquels les gens pourront exercer leur raison éclairée pour régler les problèmes auxquels nous faisons face. C’est au sein de tels lieux institutionnels que résident des opportunités inexplorées afin de saper les politiques régressives de l’Etat et de fournir des alternatives.

 

Les potentialités d’un programme communaliste

La transformation de la « grande politique des town meetings » en un effort pour un changement plus radical commencerait en reconnaissant notre condition commune d’aggravation substantielle et croissante de notre impuissance politique. Nous ne devons pas prétendre que des mécanismes pour faire que le changement que nous voulons devienne loi existent quand, en réalité, ils n’existent pas. Par exemple, une campagne sera un échec si elle encourage simplement les membres du town meeting à voter des choses sur lesquelles ils n’ont en fait pas encore le pouvoir. Une fois que les gens seront conscients de leur réelle impuissance politique, et s’ils sont suffisamment malheureux de cette situation, ils pourront devenir prêts à réclamer un type de pouvoir qu’ils n’ont jamais entraperçu auparavant : le pouvoir de prendre des décisions contraignantes sur les sujets publics qui ont une influence dans leur vie de tous les jours. Pour rendre concrète cette vision, nous avons besoin d’identifier les méchanismes de pouvoir, au sein des gouvernements municipaux, qui sont actuellement sous-utilisés, en créer là où ils n’existent pas encore, et à les utiliser ensuite au maximum en leur donnant la plus grande étendue possible. Le défi pour les communalistes en général est d’impulser des stratégies de participation aux institutions municipales qui étendent lacapacité des ciotyens à obtenir des changements concrets sur des questions particulières – et ainsi d’ouvrir ces institutions pour qu’elles soient des lieux de lutte pour des transformations plus radicales de la société.

Le cadre programme minimal/programme maximal/programme transitionnel fournit un bon outil pour saisir les potentialités qui résident dans les campagnes de « grande politique des town meetings » qui ont commencé en Nouvelle-Angleterre. Le communalisme, en tant que pratique et théorie révolutionnaires, cherche à construire un programme – selon ces trois phases – dans le but de faire devenir réalité des objectifs politiques concrets qui améliorent réellement la vie de tous les jours des habitants, tout en ouvrant de nouveaux horizons de transformation sociale (9). Ce cadre est une manière de penser et d’agir qui se situe au-delà des options politiques étroites qui sont le plus souvent conseillées aux activistes : des revendications de réformes qui manquent de vision vers un changement social plus profond, et une protestation morale contre les injustices qui nous entourent. C’est un cadre qui cherche à stimuler l’imagination révolutionnaire de manière à ce que les mouvements soient un jour capables de s’organiser pour transformer les structures fondementales de la société dans laquelle nous vivons. Je dirais qu’une clef pour comprendre la spécificité du Communalisme est que les formes spécifiques d’action utilsées par un mouvement communaliste découlent d’une logique partant d’une vision maximum. (10)

Une vision maximum s’exprime sur la question « dans quel genre de monde voudrions-nous vivre ? « . Pour que la politique repose sur un cadre éthique plutôt que sur la réalité immédiate qui nous entoure, la question de comment notre société, ses institutions, et ses pratiques devraient être vient avant la question de qu’est-ce qu’il est d’ores et déjà possible de faire. Ce qui fait qu’une vision maximum est plus qu’une abstraction, ce sont les programmes minimal et transitionnel concrets conduisant à ce que cette vision de long terme, devienne réalité, au moins sur quelques aspects. Les demandes minimales mobilisent les citoyens autour de question d’intérêt immédiat d’une manière qui rende possible pour eux d’imaginer et de se battre pour les demandes transitionnelles. Les demandes transitionnelles, dès qu’elles sont adoptées, créent dans la société de nouveaux types d’institutions qui contestent le pouvoir de l’Etat et des grandes entreprises. Un programme transitionnel met en place les nouvelles structures qui permettent à la transformation révolutionnaire de se réaliser. Sans une vision maximum qui permette à l’imagination des citoyens de dépasser la triste réalité devant nous, un programme minimal ne donnerait à coup que des réformes à la marge de l’ordre social existant.

Une vision maximum approfondissant le sens de la « grande politique municipale » contre les OGM, par exemple, impliquerait une économie alimentaire de réciprocité. A la place d’un marché sans visage contrôlé par des grandes entreprises sans coeur qui spéculent sur les denrées pour faire baisser les prix pour faire du profit, les communautés soutiendraient directement et de manière fidèle le travail agricole et valoriseraient l’activité fermière pour ses contributions à la santé humaine et écologique plutôt que simplement pour son « efficience ». De plus, l’économie alimentaire serait structurée de manière à ce que les besoins des membres d’une communauté (aussi bien que des communautés en proie à des problèmes alimentaires ailleurs sur le territoire) soient satisfaits d’une manière respectueuse de la dignité humaine. Une telle demande maximum dans le domaine de l’alimentaire soulèverait la question de la possibilité d’étendre la réciprocité au reste de l’économie – un monde dans lequel la production et la distribution des biens est faite, pas pour le profit, mais pour le bénéfice de tous et pour la longévité prospérité des écosystèmes dont nous dépendons.

Les buts d’un programme minimum sont des objectifs à court-terme, immédiatement réalisables, et généralement obtenus dans le cadre des méchanismes politiques actuellement existants. Il doit être acté que la luttte politique dans le cadre de « la grande politique des town meetings » n’a de manière générale jamais été inscrite dans un programme révolutionnaire. Les résolutions peuvent constituer d’importantes réussites quand elles sont connectées à des demandes plus larges, mais elles sont largement éducationnelles et symboliques et n’ont rien à voir avec le fait de réclamer du pouvoir politique. Ce qui fait qu’une intiative est une partie d’un programme minimum c’est qu’elle reprend un peu des moyens de pouvoir par lesquelles mes politiques sont actuellement déterminées et votées, même si de telles demandes peuvent apparaître comme de simple réformes et non une rupture immédiate avec l’ordre social dans son entier.

Sur la question de l’ingéniérie génétique, dans le contexte de la Nouvelle-Angleterre, un exemple de programme minimum serait, par exemple, de décider que sur toutes les terres agricoles possédées par la commune, l’utilisation de semences génétiquement modifiées soit interdite. Une autre exigence serait d’assurer aux enfants des institutions publiques comme les écoles des déjeuner garantis sans OGM. De telles demandes pourraient aisément se combiner avec des efforts visant à changer les menus composés d’aliments industriels peu chers servis dans la plupart des cantines par une alimentation plus saine qui a poussé localement. Une telle décision affirmeraiit le droit et le devoir du town meeting de prendre des décisions éthiques sur des sujets qui affectent la vie commune. Les exigences minimales n’ont pas besoin de créer immédiatement un changement structurel pour atteindre leur but, mais elles doivent pouvoir être applicables dans un futur où les changements strcuturels ont été obtenus, et elles doivent également constituer une amélioration significative dans la vies des gens. Dans ces deux exemples, par exemple, l’insistance est sur les institutions locales dans lesquelles les citoyens au town meeting ont pour sûr d’ores et déjà le pouvoir de changer l’ordre des choses.

Cela n’empêchera pas les propriétaires terriens privés de continué de cultiver de manière légale les semences génétiquement modifiées. Comme je l’ai souligné plus haut, il n’y aucun potentiel de développement du mouvement en expliquant aux fermiers concernés qui cultivent des OGM que la nature non-contraignante de ces résolutions ne les affectera aucunement. Mais comme part d’un programme minimum, on peut imaginer un processus de débat communal qui cherche à impliquer les fermiers eux-mêmes, par laquelle une variété de mesures pourrait être prise par les mouvements municipaux pour poursuivre dans leur détermination à supprimer les OGM du paysage. A travers un processus de délibération démocratique directe, les communautés commenceraient à prendre en considération un ensemble de facteurs économiques spécifiques ayant trait aux fermes, incluant les pressions pour aggrandir la taille des exploitations et les prix des denrées agricoles. Conscientes que la préservation des terres arrables est importante en soi, les communautés auront à prendre en compte les réalités qui font qu’une entreprise agricole peut être économiquement viable. Ils auront également à prendre en considération des questions techniques telles que comment permettre le maintien d’une économie fermière avec des pratiques écologiques qui n’exige ni OGM ni produits chimiques toxiques. Les mouvements pourraient pousser les institutions locales au pouvoir à créer de nouveaux départements d’agriculture écologique qui s’occuperaient des tâches administratives permettant de faciliter les alternatives pratiques et écologiques.

Un programme munimum devrait aussi illustrer l’échec de l’Etat à donner vie à sa promesse de protéger le publique – une fonction qui se trouve à l’état naissant mais reste inaccomplie dans une demande symbolique par résolution pour des changements de politique. Par exemple, il doit être dit explicitement que la raison pour laquelle une communauté en vienne à envisager le fait d’interdire les aliments OGM dans les cantines de ses écoles n’est pas simplement due à une saugrenue préférence de la communauté, mais plutôt due au fait que le gouvernement fédéral est tellement sous le contrôle de l’industire biotechnologique qu’il a échoué à protéger le public visà-vis d’une technologie vraiment dangereuse. Qu’un grand nombre de personnes demandent de manière visible un contrôle – même minime – local sur te tels sujets créerait une pression politique sur l’Etat bien plus grande qu’une pétition policée, si ces demandes étaient de manière reconnaissable boostée par une colère populaire contre l’Etat pour avoir failli à protéger la santé et la sécurité publiques.

La profondeur réelle de l’échec de l’Etat n’est pas implicite dans une mesure qui appelle simplement l’Etat à faire une réforme, mais devient apparente quand des espérances de liberté politique s’élèvent au-delà de du terme mortifère que sont le cynisme et la résignation. Les gens doivent d’abord en venir à croire qu’ils ont le droit de se gouverner par eux-mêmes; alors la tension entre leurs aspirations et ce qui leur est autorisé dans le système actuel peut commencer à mettre en évidence le besoin de transcender l’Etat. Elever les espérances implique que les gens soient désireux de faire en sorte que leurs gouvernements municipaux fassent des choses qu’ils ne font pas normalement – comme faire tomber la veste de la fonction purement administrative pour prendre des décisions politiques ou ordonnaces qui reflètent le désir toujours plus grand de la communauté pour la liberté politique. Dans un programme minimum, il est possible de travailler de manière créative dans le cadre des paramètres actuels de gouvernement du town meeting de manière à ce que les limites de son pouvoir soient challengés même si la loi actuellement en vigueur est respectée. Le but crucial de cette étape d’organisation est de permettre la naissance d’un endroit dans lequel la citoyenneté municipale peu se pencher et débattre sur des mesures spécifiques qui commencent à apporter des solutions aux problèmes concrets auxquels la communauté doit faire face. Ces petites étapes vers des politiques locales plus saines, par-dessus cela, peuvent constituer un terrain d’entraînement dans lequel les gens pratiquent une vie publique éclairée : qui cherchent l’amélioration du bien public.

A plus long-terme, l’objectif d’arrêter la prolifération des semences génétiquement modifiées (et de la guerre, de la corruption gouvernementale, de la pollution massives, etc.) serait mieux servi par des changements structurels menant à un plus grand pouvoir des gouvernements démocratiques municipaux directes. Un programme transitionnel peut justement apporter les changements de structure politique requis pour une société socialement juste et écologique. De tels changements seraient faits au détriment du pouvoir de l’Etat. (11) Le changement structurel indispensable est de donner du pouvoir aux gouvernements municipaux et de re-distribuer de manière substantielle ce pouvoir aux villes et villages – qui s’exercerait ainsi de manière directe. Afin d’imaginer à quoi un programme transitionnel pourrait ressembler sur le sujet des semences génétiquement modifiées, les villages et les villes pourraient s’organiser pour être des zones sans-OGM en prenant et en appliquant des décisions interdisant l’utilisation de telles semences sur le territoire de la commune.

Une ville du Maine a sérieusement tenté de faire cela. En Mars 2006, les citoyens de Montville ont voté une modification de leur plan local d’aménagement du territoire interdisant la culture des OGM. C’était la première action municipale de ce type en Nouvelle-Angleterre ayant force de loi, et ce doit encore être développé dans d’autres communes de NOuvelle-Angleterre. Il y a, néanmoins, un exemple récent à Barnstead dans l’Etat de New York où la ville a rendu toute privatisation des réserves d’eau publiques illégale et annulé les droits de la personnalité juridique des entreprises à cet égard. (12) Bien que les citoyens de Montville faisaient juste ce qu’il leur semblait bon après avoir entendu les arguments contraires lors du town meeting, et bien qu’ils n’aient pas pensé leurs actions en tant que « programme transitionnel », leur décision et leurs mobilisations pour l’appliquer ont montré que la lutte politique pouvait être couronnée de succès. Elles ont aussi montré qu’au moins dans certaines parties des Etats-Unis, il y a des endroits où les gens croient en leur propre droit de s’auto-gouverner. A la suite de nombreux autres Etats, les décideurs du Maine cherchent déjà à faire voter une loi qui empêcherait les communes de prendre légalement de telles décisions. (13) Il ne reste plus qu’à voir ce que feront les mouvements populaires de base pour protéger regagner le droit à s’auto-gouverner face à ces assauts.

Un programme transitionnel, dans toute son étendue, ne dépend pas d’un seul sujet. Au contraire il est lié à un ensemble d’actions programmatoire faites pour enlever du pouvoir à l’Etat et le confier à de nouvelles institutions libres. Comme partie d’un programme transitionnek, on peut imaginer l’émergence de nouveaux types d’institutions au niveau local qui coordonnent certains des volets complexes d’une économie agricole locale tels que l’utilisation de la terre, la fourniture d’aquipements agricoles, le partage des semences, la distribution d’engrais, la gestion des flux de déchets organiques, et la formation des gens pour travailler la terre. De telles institutions en rapport avec l’alimentation seraient responsables devant la communauté dans son ensemble. Comme certaines coopératives qui existent déjà, elles seraient une force permettant de contrer les impératifs de profits des grandes entreprises qui aujourd’hui guident en majorité notre économie alimentaire. Contrairement à la plupart des coopératives existantes, de telles institutions intégreraient de manière consciente leurs activités à un processus plus large de lutte et de transformation révolutionnaires.

 

Transcender l’organisation communautaire libérale actuelle

Les efforts de « grande politique des town meetings » n’ont pas encore été capables de mobiliser beaucoup de soutien pour un programme politique révolutionnaire, mais ils ont centré les attentions sur les institutions municipales locales où de tels programmes pourraient être testés. L’histoire de la « grande politique des town meetings » montre qu’en réduisant le champ d’action de l’activisme municipal au pétitionnement de l’Etat on manque une opportunité d’organiser les gens de manière à les préparer pour l’auto-gouvernement dans le cadre d’institutions de démocraties directes municipales. Une fois que le but instrumental d’un town meeting de faire ingérence dans la machinerie interne étatique et bureaucratique est accompli, les personnes qui étaient à la tête des comités locaux des campagnes de « grande politique des town meetings » se démobilisent en tant qu’organisateurs à l’échelle de la communauté et remobilisés comme des acteurs politiques intelligibles pour les politiciens : lobbyistes, groupes d’intérêts, et électeurs individuels éclatés. Quand la campagne voit ses chances de victoire législative s’affaiblir, elle perdu une raison d’exister, car les gens n’arrivent pas à voir comment une participation continue mènerait à la réalisation des buts qui les ont originellement poussé à agir.

L’assertion selon laquelle tout changement significatif ne peut venir que du canal officiel étatique constitue la limite de l’idéologie libérale à laquelle la « grande politique des town meetings », telle que je l’ai vue se pratiquer, a majoritairement succombé. Transcender les limites de ce modèle d’organisation dépend en grande partie d’un effort d’imagination pour penser les choses au délà de l’étroit prisme étatique libéral. En effet, cela demande de l’imagination de faire vivre la possibilité qu’une organisation municipale puisse transformer les institutions de gouvernement local, qui fondamentalement administrent la politique de l’Etat, en instruments grâce auxquels la lutte politique contre l’Etat peut être fructueuse.

Pour transcender l’idéologie libérale qui a tellement circonscrit l’organisation de nos communautés, il n’est pas suffisant de la remplacer par une idéologie utopique radicale ou de simplement souligner la nécessité de le faire. Il n’en reste pas moins que le travail de construction d’une vision du futur qui contraste dramatiquement d’avec nos réalités actuelles est un indispensable panneau indicateur pour évaluer l’intérêt de notre travail politique, et que nous avons désespérement besoin de mettre en place des stratégies qui peuvent fondamentalement challenger le capital et l’Etat. Mais pour que de telles visions et stratégiques aient un effet concret sur la façon dont les gens vivent dans l’immédiat, l’organisateur doit identifier quels sont les aspects déjà existants qui peuvent être élargis pour permettre l’émergence de nouvelles voies pour la lutte. Le défi pour les organisateurs est d’examiner conscienceusement le contexte dans lequel ils travaillent, et d’en faire émerger des brouillons de demandes et de programmes minimums qui apportent des solutions significatives aux problèmes concrets de la vie de tous les jours, selon des moyens qui permettent d’élargir les horizons des citoyens vers des formes de liberté encore plus efficaces. Un aspect de ce contexte est le sentiment de réelle impuissance, sentiment auquel on doit répondre clairement. Un programme minimum est important notamment pour sa capacité à obtenir des résultats selon des moyens qui révèlent aux protagonistes de la lutte quel goût a le pouvoir réel – le pouvoir intégré dans une éthique de non hiérarchie.

Il est très important d’essayer de faire ce que, dans le language du pragmatisme moderne, on appelle des choses pratiques (i.e, possibles), car on s’intéresse à l’action en grande partie à cause de ses résultats immédiats. Mais il est encore plus important d’adopter un programme politique qui soit capable d’identifier les étapes minimum, premières, qui une fois atteintes, rendront faisables ce que nos esprits anestésiés ne sont peut-être pas encore capables d’imaginer.

 

NOTES :


1 Murray Bookchin, The Third Revolution: Popular Movements in the Revolutionary Era, (New York: Cassell 1996), p.151.
2 Ibid., p.152.

3. Un des évènements les plus galvanisants dans l’histoire américaine récente concernant la « grande politique des town meetings » pour protéger les libertés des citoyens américains eu lieu lors de la promulgation du USA PATRIOT Act, une loi massive promulguée juste après le 11 Septembre 2001. Cette loi abrogeait quasiement tous les droits constitutionnels énumérés dans la Constitution Américaine au nom de la protection du pays contre le terrorisme. Des centaines de résolutions non-contraignantes à travers tous les Etats-Unis furent adoptés au niveau local, appelant à la restauration des droits constitutionnels.

4 Jeffrey Smith, Genetic Roulette: The Documented Health Risks of Genetically Engineered Foods, (Fairfield, IA: YesBooks 2007).

5 Allison Wilson et al., Genome Scrambling – Myth or Reality: Transformation-Induced Mutations in Transgenic Crop Plants (Brighton, UK: EcoNexus, 2004).
6 Monsanto vs. U.S. Farmers, (Washington, DC: Center for Food Safety 2005).

7 Ben Grosscup, Mass Movement: Genetic Engineering becomes question of Democracy at Massachusetts Town Meetings, (Cambridge, MA: Gene Watch, 2007).

8. Pour une discussion sur comment le gouvernement américain a investi massivement dans les biotechnologies pendant les années 1970 comme stratégie pour créer de nouveaux marchés aux grandes entreprises américaines, lire, Chaia Heller, “McDonald’s, MTV and Monsanto: Resisting Biotechnology in the Age of Informational Capital,” In Redesigning Life?, Brian Tokar ed., (New York:
Zed Books, 2001).

9 Eirik Eiglad, “Libertarian Municipalism and the Radical Program,” Communalism, Issue 7, October 2005.

10. Pour une excellente discussion sur comment la politique de l’écologie sociale découle de manière dialectique logique, voir Chaia Heller, “Illustrative Opposition: Drawing the Revolutionary out of the Ecological” in Ecology of Everyday Life: Re-thinking the Desire for Nature, (Black Rose Books: Montreal, 1999), pp.149-171.

11 Eirik Eiglad, “Bases for Communalist Programs,” Communalism, Issue 6, March 2003.

12. Pour l’ordonnance voir http://www.celdf.org/

BarnsteadAntiCorporateWaterWithdrawal/tabid/132/Default.aspx.

13. Pour plus d’informations sur cette tendance nationale, voire http://environmentalcommons.org/seedlawbackgrounder.html.

 

Commentaire éditorial de New Compass :

Publié dans la revue Communalism, n°2, Mai 2010

Illustration par Naidus