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Les assemblées communales (Town Meetings) de la Nouvelle-Angleterre aux États-Unis, avant et pendant la Révolution, ont constitué d’autres exemples de démocraties directes locales sur un vaste territoire.

Au XVIIIe siècle, les assemblées municipales se muèrent complètement en corps décisionnels. Elles imposaient les taxes, dépensaient l’argent, autorisaient la répartition des terres, arbitraient les conflits relatifs aux titres et à l’utilisation des terres, acceptaient les immigrants, donnaient des concessions économiques et des permissions de créer diverses entreprises économiques comme le feraient des comités de planification urbaine.

 

L’AUTONOMIE LOCALE : QUAND VILLAGES ET VILLES FONT LEURS PROPRES LOIS !

 

« En colonisant la baie du Massachusetts pendant les années 1630, les puritains congrégationalistes formaient des villages assez autonomes, structurés autour de leurs propres Églises. Chaque congrégation se gouvernait elle-même au moyen d’un pacte [une "Constitution locale" !] que les membres rédigeaient ensemble en tant que communauté (…) Que la congrégation toute entière participe dans la prise de décision sous-entend la règle démocratique et de la même manière que chaque congrégation avait rédigé son propre pacte religieux, ainsi chaque village conclut un pacte municipal pour régler ses affaires temporelles » (1).

La manière dont ils géraient la répartition des terres et l’urbanisme reflétait cette tendance à la démocratie. « Le groupe fondateur recevait collectivement de la colonie même le titre [de propriété] d’une terre qu’il divisait entre ses membres. Chaque habitant de sexe masculin se voyait adjugé en toute propriété un lopin de 1 à 10 acres, suffisant pour le faire vivre, lui et sa famille. La propriété foncière était ainsi maintenue plus ou moins égalitaire et pendant très longtemps, on sut éviter l’opulence comme la misère. Les milices municipales auxquelles appartenaient tous les hommes bien portants de la communauté, rassemblées sur la place du village pour l’exercice, relevaient du même esprit égalitaire.

 

L’ASSEMBLÉE MUNICIPALE COMME OUTIL D’AUTO-GOUVERNEMENT

 

Quant au gouvernement civil, les gens de la Nouvelle-Angleterre créèrent les assemblées municipales – des assemblées générales – qui se réunissaient sur une base régulière pour décider des affaires du village (…) Bien que l’assemblée municipale ne reposât sur aucune théorie démocratique, en pratique, elle était étonnamment démocratique » (2).

« La première assemblée municipale (créée à Cambridge en 1632) prit la forme d’une réunion mensuelle tenue pour décider des problèmes locaux. Peu après, d’autres villages se dotaient d’assemblées semblables qu’ils convoquaient chaque fois qu’ils le jugeaient nécessaire. En 1635, la General Court – le gouvernement de la colonie toute entière – adopta une loi qui reconnaissait l’assemblée municipale comme corps décisionnel suprême dans chaque village.

Au début, les villageois eux-mêmes étaient plutôt passifs dans l’exercice des larges pouvoirs souverains que leur conféraient la loi de 1635 et leur situation de fait. Les assemblées municipales se réunirent rarement, seulement quelquefois par année, et s’occupèrent uniquement des affaires courantes. Les villageois préféraient alors déléguer leur pouvoir aux conseillers municipaux » (3), qui étaient élus chaque année par l’assemblée, et qui composaient le bras administratif de l’assemblée municipale.

 

L’ASSEMBLÉE MUNICIPALE, CORPS DÉCISIONNEL SUPRÊME DANS CHAQUE VILLAGE/VILLE

 

« Entre 1680 et 1720, cependant, les assemblées municipales prirent le dessus sur les conseils et transformèrent la politique municipale d’oligarchie de facto en démocratie de facto. Après la mort des premiers conseillers, leurs successeurs n’obtinrent pas la même vénération ; à cause de leur jeunesse relative, les nouveaux conseillers avaient moins d’expérience et par conséquent, ils étaient moins imposants. A partir de ce moment, les villageois reprirent graduellement l’initiative de la formulation des politiques (…)

Finalement, les assemblées municipales se muèrent complètement en corps décisionnels. Elles imposaient les taxes, dépensaient l’argent, autorisaient la répartition des terres, arbitraient les conflits relatifs aux titres et à l’utilisation des terres, acceptaient les immigrants, donnaient des concessions économiques et des permissions de créer diverses entreprises économiques comme le feraient des comités de planification urbaine. Avec l’exercice de ces pouvoirs étendus, le débat et la contestation grandirent et un nouvel esprit d’action et de fierté se répandit dans l’assemblée.

 

CONFÉDÉRALISME MUNICIPAL à L’ÉCHELLE DE L’ÉTAT et MANDAT IMPÉRATIF 

 

Pour ce qui est du gouvernement de la colonie de la baie du Massachusetts dans son ensemble, chaque village envoyait à Boston ses délégués (…) [L]es assemblées municipales se montrèrent [de plus en plus] soucieuses de s’assurer que leurs délégués voteraient à Boston selon ce qu’avait décidé les villageois. Dans le village, un comité élu rédigeait les instructions pour les délégués, puis celles-ci étaient débattues par l’assemblée qui les adoptait ; on obligea les délégués à s’y conformer. Avec un pareil mandat, les députés n’étaient rien de plus que les agents des citoyens de chaque village.

A cause des pressions populaires, vers 1700, les délégués à l’assemblée de Boston durent rapporter à leur assemblée respective un compte-rendu de chaque session. Un village alla même jusqu’à envoyer un gardien avec son délégué pour s’assurer de sa fidélité à son mandat et les journaux de l’assemblée de Boston furent publiés précisément pour que soit rendu public le vote de chaque député. Enfin, l’élection des députés devint annuelle – une autre puissante restriction à leur pouvoir. (Comme le disait John Adams en 1776, « là où finit l’élection annuelle, là commence l’esclavage ».) Le contrôle étroit des villages sur l’assemblée de Boston fit de celle-ci moins une assemblée législative qu’un conseil ou congrès confédéral.

Pendant une grande partie du XVIIIe siècle, les villes du Massachusetts jouirent d’un degré de liberté extraordinaire, un degré d’autonomie remarquable pour cette époque comme pour toute autre d’ailleurs, quelle que soit la norme appliquée.. Bien que le « congrès fédéral » de Boston adoptât des lois qui touchaient les villes, la plupart d’entre elles ne les appliquaient que si elles le voulaient bien. En fait, la désobéissance était flagrante : dans le Massachusetts du XVIIIe siècle, les villes étaient souveraines non seulement selon la loi, mais également dans la pratique.

 

LE MASSACHUSETTS LOCOMOTIVE DE LA RÉVOLUTION AMÉRICAINE

 

Cette expérience du pouvoir local donna aux villageois une attitude complètement nouvelle envers l’autorité. Longtemps avant la Déclaration d’Indépendance, les villes du Massachusetts opéraient selon le principe que le seul gouvernement légitime naît du consentement des gouvernés – on peut même dire que le seul gouvernement légitime est l’auto-gouvernement.

C’est la démocratie directe des villes du Massachusetts qui développait leurs conceptions politiques radicales que la couronne britannique trouvait le plus intolérable. Après le Boston Tea Party, un des premiers gestes de Londres fut d’adopter une loi abolissant les assemblées municipales. C’était là une « loi intolérable » qui, étant donné la souveraineté acquise par les villes, ne pouvait pas abolir leurs pratiques politiques, et leur contestation devint le point d’ignition de la révolte de toutes les colonies américaines contre la Grande-Bretagne.

C’est une des ironies de l’histoire que les assemblées municipales n’aient pas survécu intactes à la Révolution qu’elles avaient si grandement contribué à faire éclater ; leur pouvoir fut d’abord éviscéré par les constitutions des États rédigées pendant la guerre, puis par la constitution fédérale. Les assemblées municipales existent encore aujourd’hui, surtout en Nouvelle-Angleterre, mais le temps de leur suprématie est passé depuis longtemps » (4).

 

NOTES :

(1) : Janet Biehl (avec la collaboration de Murray Bookchin), Le municipalisme libertaire, Éditions Ecosociété, 1998, Montréal, Québec, p. 70

(2) : ibid, p. 71

(3) : ibid, p. 72-73

(4) : ibid, pp. 73-76